mardi 12 avril 2005

SAHARA (6) : NE PLUS RIEN VOIR D'HUMAIN AU MONDE

Parfois il y a trop d'images, trop de sensations. Il faudrait pouvoir les enregistrer tout de suite. A posteriori — même de quelques heures — elles se mêlent et se troublent.

Paysage cinématographique. Je me suis surprise, plusieurs fois, à le regarder sous cet angle. A cause de Peter Jackson, je sais bien, mais pourtant... Quel spectaculaire décor pour le Mordor que ces roches sombres aux formes tourmentées émergeant du désert. Ecrasant comme le silence d'un monde sans hommes. Toujours la brume, qui estompe les racines, change les montagnes en fantômes.
Et puis ma première dune saharienne. Le sable si fin que son aspect en est presque crémeux — "on en mangerait", a dit Y***, qui se complait dans les métaphores alimentaires, ayant adopté le rôle du comic relief et du morphale de l'expédition.
Mais... cette texture si lisse, si parfaitement contrastée avec les rocs en arrière-plan. La courbe pure, parfaite, qui termine notre champ de vision. Juste une ligne — sable — ciel.
C'est effarant. Au sens littéral.
Deux beautés différentes et complémentaires. Intenses. Un peu effrayantes. Ouvrant sur des profondeurs qui sont... un vide, immense. Ce pourquoi il faut être fou pour aimer le désert, et si fort pour y vivre.
Un violent appel à la solitude, du même ordre que l'appel d'un champ de neige vierge — à le violer, il faut le violer seul, pour écouter son murmure, pour... prétendre lui faire l'amour, je suppose, en continuant la métaphore. Mais ce n'est pas ainsi que je le voyais : non, trop grand, trop puissant, trop différent, pour imaginer autre chose qu'une solitaire litanie. Seul pour prier.
Je ne parviens pas à comprendre que les autres ne l'aient pas ressenti ainsi, qu'ils n'aient pas éprouvé le besoin de se séparer, pour ne plus rien voir d'humain au monde. Pour quelques minutes de marche sur l'abîme.

Un peu la même chose face à ces étonnants édifices de pierre, sculptés par la nature en angles insensés, bases parfois fragiles, s'élargissant vers le sommet — boules de roc fichées entre deux arêtes — châteaux de grès dentelé lancés vers le ciel.
Ces édifices ont un gardien. Un gardien officiel, le site est classé. Mais il se tient à l'écart, assis au sommet d'une dune, immobile et silencieux.
Vêtu comme il l'est, chèche et lunettes sombres, on ne voit rien de son visage ni de sa peau. Sous ce costume pourrait se tenir n'importe quel... être.
J'ai pensé au personnage de Shamaël dans Corto Maltese : sorcier ou démon, assis dans la même position, inquiétant guetteur.

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