jeudi 14 avril 2005

SAHARA (11) : PREMIÈRE GUELTA

J'écris à présent du lieu de notre pause déjeuner, à Timras, qui signifie "Mâchoire", évoquant les découpes des roches, comme les "Epées" d'hier.
Je suis d'accord : ces formes sont d'une rare violence, ce qui n'ôte rien à leur beauté. Ce qui peut-être ajoute à leur beauté, pour des yeux tels que les miens.
La Mâchoire a d'ailleurs de très protubérantes canines...

Ce matin, nous sommes partis à pied dans le canyon, nous enfonçant profondément jusqu'à la guelta d'Essendilène. L'eau. Plus présente que d'habitude, puisqu'il a plu il y a 23 jours et qu'elle demeurait encore dans quelques flaques au milieu du sable. Une végétation souvent abondante, qui freinait parfois notre progression, tout comme l'eau, rendant certains passages trop boueux pour être praticables. Des lauriers-roses en quantité, et un plant de la désormais mythique talulut. Au bout, une mare verte, profondément encaissée dans l'une des fameuses fissures qui ne cessent d'émerveiller notre Géologue.
Une marche facile, puisque sur terrain plat. Cependant nous commençons déjà à savoir où marcher dans le sable pour éviter de trop enfoncer.
Et puis marcher au soleil brûlant instaure un rythme et un état d'esprit très particuliers. Un rythme où seule la marche, l'avancée, un pied devant l'autre, importe. Je marchais juste derrière le guide — j'aime marcher en tête, ce qui s'explique sûrement par toutes sortes de raisons psychanalytiques — et je n'étais pas fatiguée, mais... je marchais. Mètre après mètre. Réduisant les distractions au minimum : la dépense d'énergie augmentait l'impression de chaleur.
J'ai compris, aujourd'hui, à pied comme en voiture, pourquoi dans le désert on ne parlait pas.

A notre retour, le faucon était mort. Naturellement ou achevé par nos chauffeurs, je ne le saurai pas et ne souhaite pas vraiment le savoir. Je pense à Mistral et à Firina et ne puis m'empêcher d'éprouver de la tristesse.

Vanité : au retour de la guelta d'Essendilène, notre guide a repéré dans le sable des caractères tifinagh — et j'ai pu les lire.
(Pour écrire, je me suis assise à quelques mètres du cercle des autres : on écrit toujours de l'extérieur. Ils semblent très en forme et rivalisent de plaisanteries. J*** semble particulièrement en verve : à sa femme, allongée sur le dos sur l'un des matelas et qui déplore de ne pouvoir écrire dans cette position — "Comment peut-on écrire couché ?" — il répond du tac au tac : "C, O, U, C, H, É".
Nous sommes aussi dans un remarquable lieu d'écho : toutes leurs paroles sont répercutées par la paroi rocheuse.)

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