lundi 11 avril 2005

SAHARA (2) : L'AUTRE COTÉ

Toujours dans l'avion.
Dans la boutique Duty Free de Marignane, le nouveau parfum de Cartier : "Le Baiser du Dragon".
Ainsi Vykos m'accompagne.

Vue d'avion. Cela ressemble vraiment à des vues d'avion. Comme si nous volions au-dessus des photos de Yann Arthus-Bertrand. Au-dessus de cartes, de coupes géologiques.
Tout du paysage est minéral — sables de mille couleurs, étendues pâles de sel, reliefs déchiquetés, canyons encaissés dans le gris basalte, cheminées volcaniques, collines de pierre émergeant du sable.
Est-ce pour cette raison que les déserts évoquent en nous, irrésistiblement, des paysages de science-fiction ? A cause des reliefs lunaires qui sont notre première exploration extra-terrestre ? Ou parce que notre civilisation est née de l'eau, autour de l'eau, et que sa privation nous renvoie nécessairement à un "autre monde" ?
Ou cela ne vaut-il que pour les Occidentaux, pour qui la terre est forcément verte ?
Une question démente m'effleure : est-ce à cause de cette imagerie que Lucas a choisi de tourner là les premières images d'une planète étrangère de son film fondateur ?
Ou est-ce — horreur — A CAUSE du film que désormais nos esprits les associent ?

Escale à Tamanrasset, la "capitale" du Hoggar. A une trentaine d'années en arrière, il n'y avait ici que quelques maisons groupées autour des communautés religieuses du père de Foucauld. A présent, il parait que c'est une ville très touristique, où des Algériens du Nord ont été massivement implantés, provoquant la colère des Touaregs.
Je ne le saurai pas : je vois juste, à travers le hublot, la présence ostensible de l'armée — et à quelques mètres, juste au-delà de la piste d'atterrissage, le désert.

Je repense, absurdement, à Starwars. Nous avions fait ce rapprochement dans la plus célèbre de nos aventures de "Jean Bon", mêlant Starwars à Indiana Jones et la Dernière Croisade et à Lawrence d'Arabie. Et "mon" personnage, déjà, se faisait appeler "le Bédouin Blanc", amie et héritière des nomades du désert.
Il est amusant de constater que la peinture "camouflage" des hélicoptères de l'armée est, ici aussi, à dominante verte. Matériel européen, sans doute.
Nous n'en sortons pas, de ce décalage, puisque même les Algériens n'en sortent pas.. Il n'est plus possible de chercher à y échapper : l'Europe et sa civilisation sont devenues le référent universel, en bien ou en mal.
Nous sommes, n'est-ce pas, de "l'autre côté" : l'autre par rapport à l'Europe.

Drôle, ami, il faut que je te l'écrive.
Derrière moi, des enfants s'impatientent de la durée (longue je l'avoue) de l'escale. Leur père, agacé : "Arrête, ou je vais te faire passer de l'autre côté de la Force."
J'ignore s'il existe un inconscient collectif, mais indéniablement un Fonds Culturel Commun.

Je lis, en attendant, un numéro d'Autrement sur le désert.
Etymologie du mot Sahara : çahara, mot féminin pour désigner une couleur surprenante de blanc mêlé de rouge, ou fauve, mot qui désigne aussi le lion.
Avec le vocabulaire des couleurs, on touche à la radicalité des écarts culturels : ne voyons-nous pas tous les couleurs de la même façon ?
Ou bien Sahara comme équivalent de la "Terre Gaste" des textes médiévaux, où elle était déjà un lieu mystique, un lieu de quête. Et c'est dans le désert arabe ou africain que les Européens cherchent à présent leur Graal.
R*** n'est pas un chevalier.

Les créatures fantastiques peuplant le désert Targui ont des noms fascinants : Kel essuf, gens de la solitude, Kel amadâl, gens de la terre. Kel ahod, gens de la nuit...
J'ai hâte de voir la nuit du désert. Les étoiles tellement plus brillantes qu'en nos cités.
Dans Les Lions d'Al Rassan de G.G. Kay, la religion asharite, née du désert, est une adoration des étoiles. Il ne saurait en être autrement.
Le désert est le lieu privilégié de la contemplation des astres. Et les étoiles sont au nombre des... domaines que j'aime le plus profondément.
Essuf c'est l'extérieur, le vide, l'étranger, l'autre côté. La notion qui structure la perception de l'espace des Touaregs.
Donc c'est l'Essuf qui nous attire et nous fascine : Essuf de notre Occident.
Ou ce qui nous inquiète et nous rebute. C'est à l'Essuf que R*** se reportait sans le savoir en s'étonnant : "Pourquoi aller dans le désert ? Il n'y a rien, là-bas."

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