lundi 17 avril 2006

SYRIE (6) : LATTAQUIÉ - L'OPTIMISME DE L'ARCHITECTE

Le soir, Riviera Hotel, Latakia.
(Latakia, Lattaquié, est la troisième ville du pays. Elle semble comparable à Marseille par la taille et la population).

Au Sahara, le soleil, nous contraignant à de longues siestes en milieu de journée, me permettait d'écrire à ce moment. Ici cela m'est impossible. A peine ai-je pu griffonner une page tout à l'heure — et le soir venu, il y a trop. Le soir venu, je sais que j'oublie, phrases et souvenirs se pressent emmêlés dans ma conscience, avides d'être gravés.
A certains moments de la journée, je me sentais comme une éponge, comme une gigantesque machine à absorber des sensations et informations, comme si mes yeux et mes oreilles ne suffisaient pas et que tout mon corps se faisait poreux pour mieux les emmagasiner. Alba parle peu, a remarqué Loutfi. Forcément: je regarde trop, je suis trop à l'écoute pour parler.

Et maintenant je ne sais par quel bout prendre ma mémoire.
J'ai même conscience de tricher, trier, recomposer.

Il est curieux, vraiment, de voir ce mélange des religions et leur coexistence apparemment pacifique. C'est grâce au régime, dit Loutfi, pourvu que ça dure. Ce fut toujours l'aspect "positif" des dictatures, de Tito à Saddam: elles imposent aux communautés de vivre ensemble, en les agrégeant à un ensemble plus vaste. Bon gré mal gré, cela semble fonctionner. Il y a des villages chrétiens et des villages musulmans, il y a des Musulmans qui visitent en touristes des églises chrétiennes, et des femmes voilées de noir qui prient dans des chapelles orthodoxes. Il y a des Musulmans qui boivent bière et vin, et la Syrie en produit. Les frontières semblent se dissoudre. J'ai toujours aimé cela. Bien sûr, chacun sait que cette situation ne survit jamais aux dictatures. Au prochain changement de régime, ou si un Président américain décide d'attaquer la Syrie, on s'y étripera à nouveau. Le sang n'est pas loin. On a aussi une longue tradition de construction des mosquées sur des ruines d'églises, ou au coeur d'un carré formé par quatre d'entre elles, histoire de prouver que même quatre églises chrétiennes ne peuvent empêcher la lumière d'Allah de passer. Une partie de moi estime qu'aussi longtemps que les rivalités religieuses s'expriment par la construction, rien n'est perdu. Mais c'est sans doute faux, c'est sans doute l'optimiste architecte qui parle en moi.
L'architecte.
Et je peux, à présent, m'autoriser à parler du Krak des Chevaliers.

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