mercredi 19 avril 2006

SYRIE (11) - LE CHÂTEAU DE SALADIN

Même patio. Avant le petit-déjeuner.
Merry et Pippin, ce sont ma mère et Ch***. Elles ne cessent, depuis notre arrivée en Syrie, de goûter, manger, parler de manger, re-goûter... C'est adorablement hilarant. C***, bien sûr, se moque beaucoup, et il est difficicile de ne pas l'imiter. Hier, au château de Saladin, Loutfi avait emporté de quoi "prendre l'apéritif" sur le site: une bouteille d'arak, un pamplemousse énorme, des bananes libanaises, petites et sucrées.
A un moment, alors que, ne mangeant pas, je m'étais éloignée, marchant sur un mur, sautant sur la vaste terrasse qui dominait la vallée abrupte, je me suis retournée et je les ai vues, accroupies, vêtues de couleurs vives, se passant les aliments —Tu veux un peu de pamplemousse? —Avec du sel? Loutfi a dit qu'il le mangeait avec du sel. —Tu as fini ton arak? Tu veux ajouter de l'eau? —Il reste beaucoup de bananes. Et elles étaient, vraiment, Merry et Pippin.

C'est en fait une toile tendue sur des arceaux qui constitue le toit du patio. Je le vois, maintenant qu'il fait jour. Je vois même les oiseaux passer au-dessus, par transparence, ombres portées sur la toile blanche.
Je ne t'ai pas raconté comment, il y a deux jours, alors que je rêvais à Vykos et Loïse, j'ai vu deux oiseaux voler ensemble au-dessus de la route, un noir et un blanc, et leurs trajectoires s'entrecroisaient, s'accompagnaient, harmonieuses. Ils étaient très près l'un de l'autre et paraissaient, vraiment, voler ensemble. C'était beau à regarder, comme un miracle, et en avait sans doute la fragilité.

Et je n'ai toujours pas parlé du château, de ses cinq hectares (3 pour le Krak) qui en font la plus vaste forteresse croisée en Orient, de son site surtout.
C'est ce qu'il est convenu d'appeler un nid d'aigle et la métaphore dit juste, farouche, élevée, menaçante quand il le faut. Les parois en sont si raides que la route, malgré les lacets en épingles à cheveux, grimpe en pente raide -- et que les arbres semblent prendre racine dans la chevelure de celui qui les précède. Car ce monticule abrupt est couvert d'une épaisse forêt de pins et de chênes, une végétation très dense, très semblable à celle d'Europe. Le château de Saladin pourrait presque être celui du Haut-Koenigsbourg.
C'est la forteresse vue d'en bas, ou de l'autre côté de l'étroite vallée qui l'entoure. Mais d'en haut, de l'intérieur, il y a plus spectaculaire encore que la montagne. Car les hommes de Robert de Saône ont taillé et creusé dans le roc lui-même, sur une vingtaine de mètres, pour sculpter la base de leur forteresse. Toute la partie basse et extérieure des murs est constituée de pierre taillée à même la montagne, dessinant exactement le contour des fortifications, l'arrondi des tours. A l'entrée, ils ont laissé un pylône de roc, étroite obélisque de 25 mètres qui partage la route en deux et permettait de soutenir, loin au-dessus, un pont-levis. Il permet surtout, à présent que le bois du pont est poussière, d'apprécier leur extraordinaire travail, son épaisseur, comme les années comptées dans la section d'un tronc. Comment ont-ils creusé dans la roche à une telle profondeur, sans dynamite?

Après le petit-déjeuner, même patio, je profite de chaque instant.
Je me souviens d'Olivier, le fils du croisé gallois Cadfael et de la Syrienne Mariam — je me souviens de la beauté d'Olivier et je songe que peut-être il ressemblait aux garçons d'Al-Bara.

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