Alep. Sissi House, restaurant.
Evidemment la célèbre impératrice n'a jamais mis les pieds ici, meilleur restaurant d'Alep ou pas. Il s'agit simplement du nom du premier propriétaire, un peu déformé pour plaire aux Occidentaux.
Le soir. Même patio.
Les jeunes filles Kurdes semblent nourrir une passion pour les femmes d'Occident. Ou étaient-ce mes cheveux lavés ce matin? Ou la jupe que je portais et à laquelle je pense toujours comme à la jupe de Flora parce qu'elle est large et verte comme la mer et qu'il s'agit du premier vrai souvenir que Corwin a d'elle?
Quoi qu'il en soit, elles se pressaient, demandaient à être prises en photo avec moi (ou avec mes cheveux, ou avec ma jupe), me poursuivaient presque, proclamaient "I love you!" — et je n'ai jamais nié être sensible à la flatterie. Celle-ci surtout me touchait plus que celle des hommes, codée, attendue. Ces jeunes filles ne portaient pas le foulard, et j'imagine qu'elles rêvent tant d'Occident que toute jeune femme blanche aux longs cheveux clairs doit leur paraître une actrice de cinéma.
Cohérence extrême du récit: le gardien (qui n'est pas mon camarade Muhannad) vient de m'apporter un verre de je ne sais quoi, offert par un élégant monsieur arabe, le seul autre à être assis dans ce patio. Dans les pays arabes (je l'avais déjà constaté en Egypte), on remonte dans le temps. Les rites ici sont différents. Les us, et surtout ceux de la séduction, semblent remonter aux années 50. Est-ce seulement le décalage dû à l'onde de la (post-)modernité? Car les fuseaux durent bien plus d'une heure à cette aune-là, et même s'ils se raccourcissent: pendant longtemps une découverte mettait plus d'un demi-siècle à passer d'Angleterre en Russie. Ou est-ce que pour eux les Occidentales répondent vraiment au modèle des héroïnes de ces films hollywoodiens, et y copient-ils leur attitude?
Je ne sais pas. Je ne sais pas non plus s'il y a de l'alcool dans ce verre, et je marche sur la ligne mince et coutumière qui consiste à ne pas l'offenser et ne pas l'encourager. J'ai donc goûté. Ce n'est pas mauvais (donc il n'y a pas d'alcool), et... malgré tout cela me distrait de mon récit.
Parler du vert, le vert de ma jupe, le vert des hommes mortels sur les icônes byzantines, et me souvenir de la raison pour laquelle les minarets des mosquées sont éclairés des lumières vertes dont je t'ai déjà parlé, et qui les font ressembler, la nuit, aux tours de quelque NéoTokyo de manga. Simplement le vert est la couleur de l'Islam. Certains dômes de mosquées sont peints de cette couleur, et sans doute est-ce aussi pour cette raison que les deux étoiles du drapeau syrien (qui symbolisent l'alliance avec l'Egypte) sont vertes aussi.
Au musée d'Alep, j'ai plusieurs fois pensé à toi. A cause des lions d'abord, si nombreux, parce qu'aimés de la déesse Ishtar comme de certains musulmans — si spectaculaires, de bronze verdi par le temps humide, ou de sombre basalte — gardiens, protecteurs contre les ténèbres et le mal. J'ai, forcément, pensé à Aslan. Aslan-Dieu, ont dit tous les exégètes de l'œuvre de Lewis. Et c'est alors seulement que j'ai réalisé à quel point le nom de ce dieu très chrétien ressemblait à celui d'Allah.
Puis, plus important, il y avait ce couple de statuettes, un homme et une femme, avec devant eux le bassin symbolisant leur union. La bassine est divisée en deux compartiments — celui de l'homme est le Plein, celui de la femme le Vide — mais leur mariage est symbolisé par un orifice dans la cloison qui les sépare, et ainsi le Plein s'écoule dans le Vide jusqu'à ce que tous deux trouvent l'équilibre.
Je ne commente pas. Tu sais cela comme moi.
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