Le Clos du Petit Marray
Fontevraud est si proche et si chère que je peine, d’un coup, à parler de Loches et de son imposante citadelle médiévale, de son vertigineux donjon, d’autant plus vertigineux que planchers et plafonds ont disparu et que l’on peut se pencher de la coursive à son sommet et apercevoir les gens minuscules qui visitent les celliers.
Loches, comme Fontevraud, fut prison. Mais pas de miracle et pas de roses, là-bas. Le gracieux fantôme d’Agnès Sorel est bien loin. Loches est une vraie prison, massive, écrasante. Prison pendant des siècles de graffitis, de Louis XI au XXe siècle, tellement de graffitis de prisonniers « qui ne sont pas contan » comme Ludovic Sforza, et qui cherchent désespérément à s’occuper, qu’ils sont intégrés à la visite et aux panneaux explicatifs du site. Il est toujours amusant de découvrir le sort de ces châteaux, après la Révolution, ceux qui ont été soustraits à la vindicte par la popularité de leur seigneur ou de leur dame ; ceux qui ont été pillés et détruits ; ceux qui ont été recyclés pour usage républicain : sous-préfecture ou prison d’Etat ; ceux qui seront, un peu plus tard, offerts en fiefs, principautés d’opérette, aux maréchaux d’Empire. Loches et sa citadelle furent très lucidement partagés en deux : au sous-préfet les Logis Royaux avec leur façade Renaissance et le spectre de la Dame de Beauté — aux prisonniers l’épais donjon médiéval et ses dépendances.
Partout en pays de Loire on exhume, répare, réhabilite, reconstitue. L’Histoire s’écrit aussi dans ce sens, à rebours du temps. Les ossements* sont un enjeu, un indice, une piste, parfois une machine à remonter le temps. Partout l’on vend, achète, dérobe des reliques de saints. À Loches, la science identifie les restes de la belle Agnès, retrace son histoire dans ses os, de ses grossesses à la date de sa mort, de la thèse de son empoisonnement à son célèbre et mystérieux visage. À Fontevraud on se dispute les restes du fondateur, Robert d’Arbrissel, rendu à l’abbaye sans son cœur — on se dispute même des gisants vides d’os, devenus des reliques de bois et de pierre : l’Angleterre continue régulièrement de réclamer à la France la restitution de ses Plantagenêts, et la France de pieusement les refuser. Le pèlerinage est toujours un enjeu, auquel je n’échappe pas.
Demain seulement nous remonterons la Loire et le cours du temps, vers le monde du XXIe siècle, et le rythme effréné de nos vies cette année.
*je ris en repensant aux fillettes d’Ussé et à la feinte terreur exprimée devant la « tête de crâne mort » dans l’antre de la Sorcière
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