lundi 25 février 2008

BAVIÈRE (9) – LES MARCHES DE NEUSCHWANSTEIN

Et je n’ai pas dit les châteaux. On va finir par croire qu’ils m’ont déçue, et ce n’est pas le cas, juste que mes mots les contournent et peinent à se hisser jusqu’à eux, comme il faut se hisser jusqu’à Neuschwanstein. L’ordre est important, bien sûr. Il faut voir Neuschwanstein en dernier. Il faut pouvoir admirer d’abord le délirant mimétisme et l’île mélancolique de Herrenchiemsee , s’étonner de l’intimité de Linderhof avec son double écrin de parc et de montagnes. Il faut pouvoir admirer et s’étonner encore devant le château familial et baroque de Hohenschwangau, se retourner vers Neuschwanstein et se demander pourquoi Ludwig a éprouvé le besoin de faire construire un autre château si près de celui qu’il possédait déjà et qui nous paraît vaste et beau. Il faut tout cela, toutes ces marches, avant de se hisser jusqu’à Neuschwanstein, et de comprendre.

Bien sûr que le nom est significatif, presque adolescent, un nouveau cygne marquant la différence avec l’ancien qu’on s’est contenté d’hériter. Bien sûr qu’on y retrouve des influences, bien sûr qu’il est inachevé, que par endroits on devine presque le mortier, mais — mais Neuschwanstein a cette qualité rarissime, indescriptible, des rêves réalisés. Un rêve entré de plain-pied dans le monde, un rêve fait chair et pierre, une impossibilité, une Porte, un hoquet de la réalité.
Neuschwanstein n’est pas impensable, ni inimaginable. Au contraire il est aisément imaginé, avec enthousiasme. C’est l’incarnation de cette imagination qui est inconcevable. Qu’on ait pu non seulement le rêver, non seulement le désirer, non seulement le deviner — mais le bâtir.
Il y a encore une chose qui le distingue des autres châteaux, de tous les autres : l’absolue cohérence qui le caractérise. Neuschwanstein n’est pas un habitat séculaire, peu à peu reconstruit, transformé, redécoré. Pas de strates. La volonté d’un esprit unique, le fil rouge d’un hommage obsessionnel. Ces fresques wagnériennes qui enluminent tous les murs de leurs teintes vives nous ont plu, et touchés. Je ne m’y attendais pas. Le style est illustratif, décoration de théâtre, romantisme à quatre sous, nobles dames aux longs cheveux, aux vastes manches, chevaliers et dragon, navire arborant une voile blanche, bateau-cygne cinglant vers le port d’Anvers, amants enlacés, adieux déchirants, morts tragiques. Le tout à l’allemande : les personnages sont tous plus larges que nature, plus forts, plus sains, avec surplus de tresses blondes et de hanches larges, mais — cela joue. Cela vit. Cela fonctionne, guide et unit. C’est une folie, tout le château est une folie vertigineuse, mais elle existe. Elle s’est ancrée solidement dans le monde. On peut l’arpenter, l’habiter.
Il faut, cepndant, y monter à pied (ou à la rigueur en calèche) le long d’une route raide. C’est bien. L’effort permet à chacun de réaliser la nature exceptionnelle de Neuschwanstein.

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