Mittenwald (le Twin Peaks allemand), Gästehaus Edelhuber
Hier soir je n’ai pas pris le temps d’écrire. A la place, nous avons longuement barboté dans la vaste et et profonde vasque de notre salle de bains et non moins longuement savouré un succulent dîner. Hier soir, nous dormions dans notre Relais & Châteaux, la Résidenz Heinz Winkler, à Aschau. Heinz Winkler est le nom du chef — et mérite ce titre. Des hors d’œuvre délicats au riche chocolat du dessert, en passant par le plus tendre des agneaux de lait, tout était merveilleux, sauf l’obligation imposée à mon Amour de passer une veste de costume. Pas de changer ses jeans pour des pantalons plus élégants, non, ni de remplacer ses docks usées et salies, tout cela sera caché par la table — juste de passer une veste de costume, fournie par l’hôtel, par-dessus ses vêtements.
Et j’en ai négligé ta propre vie de château, Ludwig, tes propres rêves de grandeur. Les rois aussi ont des rêves de grandeur, ils poussent juste la folie un peu plus loin — jusqu’à dépasser les bornes, jusqu’à ne plus laisser d’échappatoire, jusqu’à se condamner à mort.
La première de mes histoires-en-retard est donc une rêverie en bleu et or, l’or du soleil absolu, d’un passé idéalisé et impossible à reproduire, et le bleu — j’ai pensé bien sûr à ma breda Nathalie en (re)découvrant que le bleu était la couleur préférée de Ludwig. Etait-ce seulement à cause du bleu royal de la France tant admirée ? N’était-ce pas une préférence qui plongeait plus loin ses racines, jusqu’au bleu des mages rêveurs d’équilibre ou à mes propres lancinants « Pourquoi le bleu ? » Le bleu des deux grands absolus que sont à l’homme le ciel et la mer, le bleu donné à Marie avant d’être attaché aux rois comme un signe d’élection surnaturelle.
Ce rêve bleu et or de Ludwig est aussi celui d’un conte de fées : le roi de Bavière possédait la table du conte, la Petite-Table-Couvre-Toi qui sur un mot de commande se couvre de mets chaque soir. Il avait bien compris où résidait la magie de son temps, ce roi faussement épris du passé — des rouages et des poulies, la mécanique devenue magie moderne, celle de Houdini, du Prestige et de la science version steampunk. Mon histoire hésite sur le fil : serait-il plus beau que Ludwig possède la véritable table enchantée des Fées, un présent d’Aubéron ? Ou que ses ingénieurs en aient créé un équivalent mécanique, version améliorée de celle qu’on peut voir à Herrenchiemsee ? Peut-être le roi fou de Bavière et son énigme sont-ils sur ce fil-là, sur cette hésitation-là. Ou peut-être sur ce fil se divise l’une des trames de notre univers. Car voici un autre fil, une autre infime divergence : le château Falkenstein existe. Il porte ce nom. On en trouve des esquisses de toutes sortes, jusqu’aux plus baroques, plus féeriques et folles encore que Neuschwanstein.
Falkenstein existe et c’est un rêve. Rêve de Ludwig et des quelques architectes auxquels il en avait fait commande avant que s’écroulent son monde et son esprit — et ses finances — avant la chute. Falkenstein existe dans la bibliothèque de Dream, et peut-être dans un coin de son royaume.
Mais Herrenchiemsee est un lieu bien différent. Un désir forcené de soleil et de rayonnement bâti dans une île de solitude mélancolique, aux teintes adoucies par l’hiver, une île qui n’abritait que des moines et des oiseaux, dans les eaux argentées du plus grand lac de Bavière. Les bouleaux aussi, si hauts et minces, pâles, démesurément tendus vers le ciel comme pour faire oublier leur fragilité — les bouleaux aussi parlent de Ludwig. Mais le temps a passé : Ludwig le Fou avait-il vu que ses châteaux attireraient en Bavière des foules venues de tous pays ? Le temps a passé et certains bouleaux ont vieilli et survécu jusqu’à devenir épais et noueux comme des noyers.
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