lundi 25 février 2008

BAVIÈRE (8) – DANS L’OMBRE DES MONTAGNES

Soir. Notre chambre à l’hôtel Spitzweg, Rothenburg-ob-der-Taube (plafond bas et poutres blanchis, meubles de bois peints à dominante vert forêt, tous assortis aux mêmes motifs, tapisseries, en pleine Alte Stadt, ruelle médiévale à souhait)
C’est certainement pour compenser le retard croissant que j’écris de si longues entrées à ce journal, le présent s’efforçant vainement de reprendre le pas sur le passé.

Ce que je n’ai pas dit.

Qu’à Ettal, un village perdu entre Garmisch-Partenkirchen et le château de Linderhof, dans les Alpes, à deux pas de la frontière autrichienne, se trouve un gigantesque couvent bénédictin, église surmontée d’un dôme de basilique, immenses ailes aux murs peints de blanc et de rouge comme tous les monastères de la région. Le plan est rectangulaire et clos, entourant une vaste cour-jardin, humide et nue en cette saison. Le village autour est minuscule, à peine une dépendance du Kloister, de sa brasserie, de sa manufacture d’objets religieux. Les montagnes escarpées grimpent juste derrière l’une des ailes. Or, ce Kloister, qui abrite toujours des religieuses, est aussi un lycée. Nous étions samedi, et n’avons vu aucun(e) pensionnaire, à peine croisé deux dames à l’allure de professeurs.
Plus qu’un décor possible pour un GN Harry Potter : un décor de roman, pour l’un de ces pensionnats de jeunes filles où le huis clos, la sévérité de la Règle, l’austérité du paysage, ouvrirait sur les plus abyssales folies.
Et je me demande, vraiment, ce que peuvent être les sentiments d’une adolescente d’aujourd’hui interne dans un tel lycée, en un tel lieu, au pied de telles montagnes. Comment elle passe l’hiver. Où elle se réfugie. Quelles patientes constructions mentales elle se bâtit. Si elle rêve des skieurs branchés de Garmisch, ou de la sauvagerie des montagnes inviolées, ou d’une grande ville — ou d’un Autre Monde.

Je n’ai pas dit non plus en quoi Mittenwald nous a irrésistiblement évoqué Twin Peaks. A cause de l’usine que nous avons vu à l’entrée de la ville, bâtie comme une scierie. A cause des montagnes la surmontant, et des forêts de conifères. A cause des maisons de bois comme l’hôtel de Ben Horne. A cause de l’ombre portée sur la ville par ces montagnes écrasantes. A cause de notre Gasthaus un peu en périphérie ; à cause du petit restaurant où nous avons dîné, seuls touristes parmi des autochtones, de la mince et blonde patronne, de la cuisine traditionnelle qu’on y servait : nous étions chez Norma, à l ‘évidence. Nous étions à Twin Peaks, et des esprits rôdaient dans la forêt, attendant de s’emparer d’un notable avide de sensations nouvelles. Nous regardions les fenêtres éclairées des maisons familiales et nous demandions quels secrets, quelles folies elles dissimulaient. Davantage que dans une autre petite ville. Ce frisson-là : lynchien.

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