Mes carnets de voyage : Sahara (avril 2005), Syrie (avril 2006), Châteaux de la Loire (avril 2007), Bavière (février 2008), Istanbul (avril 2009)...
mardi 26 février 2008
BAVIÈRE (fin) – LA VILLE DU CONTE
Ce quartier des pêcheurs annonçait quelque chose de plus magique encore, une plongée plus profonde dans le Conte.
Nous avons repris le bateau-voiture, désormais couvert de boue, et avons filé vers le Nord. Et nous voici dans la Ville du Conte, à Rothenburg, et je pourrai en dire tout ce que je veux, vous ne me croirez pas. A moins que vous n’ayez déjà foulé les rues de Wall ou de Lud-in-the-Midst pendant le Marché Féerique. A moins que vous ayez suivi le Joueur de Flûte un soir dans les rues de Hamelin. A moins que vous ayez trouvé un jour l’un de ces livres-portes par lesquels on entre tout entier dans le Conte et n’en soyez jamais ressorti. Si vous n’êtes pas de ceux-là, vous ne me croirez pas.
Il vous faudra venir à Rothenburg.
Il vous faudra y venir comme nous hors saison, un soir de semaine, et vous promener seuls dans ses rues, à la nuit tombée.
Il vous faudra dormir comme nous à l’hôtel Spitzweg, un hôtel merveilleux, depuis la chambre jusqu’au hall d’entrée, du pantagruélique petit-déjeuner à l’hôte adorable et tout à fait en accord avec Rothenburg : un vieil homme souriant à barbe blanche, visage rond et petites lunettes, quelque chose du Père Noël, du grand-père gâteau doté d’étranges pouvoirs qui lui semblent aussi naturels que la cuisson d’un œuf pour le petit-déjeuner de ses hôtes.
Il vous faudra arpenter les rues de Rothenburg. Elles sont pavées. Eclairées seulement par les lanternes qui se reflètent sur la pierre des maisons, et par les vitrines illuminées des boutiques fermées.
Approchez-vous de ces vitrines : ce sont des fées, des crèches musicales, des confiseries, des chevaliers de bois… Vous êtes bien des enfants, marchant tout étonnés dans ce Bourg-à-Remonter-le-Temps où toutes les boutiques sont faites pour vous.
Il vous faudra pousser la porte d’une des minuscules échoppes.
Alors peut-être me croirez-vous et marcherez-vous à votre tour dans le Conte, les yeux écarquillés de merveilles.
lundi 25 février 2008
BAVIÈRE (11) – DES LIEUX OÙ L’ON POURRAIT VIVRE : ULM LA VIEILLE
Un charme de même nature opère dans le centre de la vieille cité d’Ulm. Antique université, lieu d’étude et de savoir, lieu de beauté. Les soldats autrichiens qui s’y sont rendus à Napoléon sans combattre ont sûrement été séduits aussi par le lieu, ont peut-être voulu y rester et y vivre, et si la reddition était le prix à payer, Ulm le valait bien.
Pourtant la guerre n’a pas épargné cette cité-là. Elle ne cache pas ses cicatrices : elle annonce que ces maisons ont été bombardées pendant la Seconde Guerre Mondiale, elle dédie cette place à Hans et Sophie Scholl… Ulm a cette grâce et cette sagesse que seule peut détenir une très vieille ville : elle sait avancer, elle sait que les ères se mélangent sans se détruire, que l’art et l’architecture n’en finissent pas d’exister. On y trouve dans la Vieille Ville d’audacieuses pyramides de verre qui côtoient des maisons peintes traditionnelles, des structures métalliques élégantes et des maisons à colombages, autour de la gigantesque cathédrale dont la flèche se lance très haut dans le ciel, visible en tous points de la ville et même depuis l’autoroute. La plus haute du monde — mais Ulm a le record modeste, elle sait que ce n’est pas cela qui importe. Et ce n’est pas cela : ce sont les incroyables gargouilles, toutes différentes de formes de styles et de tailles ; ce sont les statues XIXe, si étonnamment réalistes dans leurs visages et leurs vêtures ; c’est l’extraordinaire abat-voix de bois sculpté qui surmonte la chaire ; c’est le porche majestueux et riche de mille détails ; c’est l’invraisemblable tabernacle ciselé de calcaire et de grès ; ce sont les orgues dont les tuyaux évoquent les ailes d’un ange.
Pourtant il y a cette flèche. Qui monte et monte à n’en plus finir, les 768 marches et retour, d’abord dans de solides tours de pierre, puis de plus en plus épurées, dans la dentelle, suspendue, étroite, filant dans le ciel. Une montée infinie, oui, à paliers, avec même un appartement à mi-hauteur, pourvu d’un mécanisme pour y hisser des paniers. On se demande qui vivait là : des serviteurs de la cathédrale qui y passaient la journée avant de redescendre vers le sol et leurs familles ? Ou des religieux rêvant d’érémitisme, venant méditer entre le Ciel et la Terre ? Est-ce d’un tel appartement qu’il a fallu descendre le grand corps mort de Saint Thomas d’Aquin ? Nous soupirons et admettons qu’alors, oui, Abbon avait du mérite, et que certains moines étaient un peu prompts à se moquer de son exploit.*
Etrangement, la flèche est plus vertigineuse encore vue d’en bas. Du sommet, nous nous penchions vers le sol, toute perspective écrasée, les humains de la même taille que les pigeons. Mais du sol, levant la tête vers la flèche, vers la frêle balustrade qui l’entoure, tout près du sommet, nous sommes stupéfaits de savoir que nous nous sommes tenus là-haut, en plein ciel, et en sommes redescendus (pour nous livrer à de très terrestres appétits et déguster les gâteaux dont j’ai déjà parlé.)
Mais Ulm n’oublie pas sa sagesse. Elle a la plus démesurée des cathédrales, et tout près, un quartier très différent, à échelle humaine, aussi tendrement imparfait que la cathédrale est sublime de majesté. Dans le quartier des pêcheurs, tout de canaux et de maisons à colombages, aux perspectives bizarres, aux angles biscornus, des maisons se dressent de guingois, se penchent au-dessus de l’eau, se tordent vers leurs voisines. On s’émeut, se donne la main, cela n’a rien de Venise ni même d’Amsterdam mais il y a des ponts et des placettes, du lierre et des ruelles, et les Amoureux s’y embrassent comme les maisons.
* cf. Umberto Eco, Le Nom de la Rose dont je parle aussi ici
Pourtant la guerre n’a pas épargné cette cité-là. Elle ne cache pas ses cicatrices : elle annonce que ces maisons ont été bombardées pendant la Seconde Guerre Mondiale, elle dédie cette place à Hans et Sophie Scholl… Ulm a cette grâce et cette sagesse que seule peut détenir une très vieille ville : elle sait avancer, elle sait que les ères se mélangent sans se détruire, que l’art et l’architecture n’en finissent pas d’exister. On y trouve dans la Vieille Ville d’audacieuses pyramides de verre qui côtoient des maisons peintes traditionnelles, des structures métalliques élégantes et des maisons à colombages, autour de la gigantesque cathédrale dont la flèche se lance très haut dans le ciel, visible en tous points de la ville et même depuis l’autoroute. La plus haute du monde — mais Ulm a le record modeste, elle sait que ce n’est pas cela qui importe. Et ce n’est pas cela : ce sont les incroyables gargouilles, toutes différentes de formes de styles et de tailles ; ce sont les statues XIXe, si étonnamment réalistes dans leurs visages et leurs vêtures ; c’est l’extraordinaire abat-voix de bois sculpté qui surmonte la chaire ; c’est le porche majestueux et riche de mille détails ; c’est l’invraisemblable tabernacle ciselé de calcaire et de grès ; ce sont les orgues dont les tuyaux évoquent les ailes d’un ange.
Pourtant il y a cette flèche. Qui monte et monte à n’en plus finir, les 768 marches et retour, d’abord dans de solides tours de pierre, puis de plus en plus épurées, dans la dentelle, suspendue, étroite, filant dans le ciel. Une montée infinie, oui, à paliers, avec même un appartement à mi-hauteur, pourvu d’un mécanisme pour y hisser des paniers. On se demande qui vivait là : des serviteurs de la cathédrale qui y passaient la journée avant de redescendre vers le sol et leurs familles ? Ou des religieux rêvant d’érémitisme, venant méditer entre le Ciel et la Terre ? Est-ce d’un tel appartement qu’il a fallu descendre le grand corps mort de Saint Thomas d’Aquin ? Nous soupirons et admettons qu’alors, oui, Abbon avait du mérite, et que certains moines étaient un peu prompts à se moquer de son exploit.*
Etrangement, la flèche est plus vertigineuse encore vue d’en bas. Du sommet, nous nous penchions vers le sol, toute perspective écrasée, les humains de la même taille que les pigeons. Mais du sol, levant la tête vers la flèche, vers la frêle balustrade qui l’entoure, tout près du sommet, nous sommes stupéfaits de savoir que nous nous sommes tenus là-haut, en plein ciel, et en sommes redescendus (pour nous livrer à de très terrestres appétits et déguster les gâteaux dont j’ai déjà parlé.)
Mais Ulm n’oublie pas sa sagesse. Elle a la plus démesurée des cathédrales, et tout près, un quartier très différent, à échelle humaine, aussi tendrement imparfait que la cathédrale est sublime de majesté. Dans le quartier des pêcheurs, tout de canaux et de maisons à colombages, aux perspectives bizarres, aux angles biscornus, des maisons se dressent de guingois, se penchent au-dessus de l’eau, se tordent vers leurs voisines. On s’émeut, se donne la main, cela n’a rien de Venise ni même d’Amsterdam mais il y a des ponts et des placettes, du lierre et des ruelles, et les Amoureux s’y embrassent comme les maisons.
* cf. Umberto Eco, Le Nom de la Rose dont je parle aussi ici
BAVIÈRE (10) – DES LIEUX OÙ L’ON POURRAIT VIVRE : LE LAC-TRIPLE-FRONTIÈRE
Qu’y a-t-il après un tel lieu, après un tel château ? Je m’en inquiétais un peu. Que pourrais-je admirer, si peu de temps après ?
J’avais tort. Peut-être parce que Neuschwanstein est du domaine du rêve, qui ne se compare pas à la réalité. Peut-être parce que le charme d’une ville n’est pas du même ordre que celui d’un château. Ou peut-être parce que notre capacité d’émerveillement ne s’épuise pas.
Lindau et Ulm m’ont touchée, profondément. Toutes deux ont cette lumière et cette accueillante beauté des lieux où l’on pourrait vivre. Le mot de charme était juste. Ne croyez pas que le charme soit « discret », bourgeois et bien élevé, quelque chose de moins intense et plus poli que la beauté. Non, le charme est un sortilège, puissant mais intime, profond mais secret. Lindau et Ulm eurent pour moi, pour nous, ce charme-là.
J’avais de la ville-île au bord du Lac de Constance un très vague souvenir d’harmonie sereine. Lindau est bien ainsi, toujours ainsi. Préservée, comme par miracle. Préservée de quoi ? Je ne sais pas. De la foule, du brouhaha, des excès en bien ou en mal. Sans doute est-ce un phénomène d’île, car la partie « continentale » de la ville n’a rien de ce charme.
Un phare aux teintes claires, aux proportions modestes, est veillé par un grand lion de pierre : à Lindau, on sait que les phares sont menacés, à plus forte raison quand ils éclairent un Lac-Triple-Frontière. En allemand ce nom serait possible : Dreigrenzensee.
Des rues lumineuses et pavées, un excellent restaurant, des hôtels colorés. Une petite station balnéaire du Nord. Un endroit où se réchauffer, s’éclairer. Un lieu de sourire et de paix. Etrange impression pour une frontière. Je me demande quel a été le sort de Lindau pendant la Seconde Guerre Mondiale, comment se sont noircies ses couleurs, comment s’est voilée sa lumière.
J’avais tort. Peut-être parce que Neuschwanstein est du domaine du rêve, qui ne se compare pas à la réalité. Peut-être parce que le charme d’une ville n’est pas du même ordre que celui d’un château. Ou peut-être parce que notre capacité d’émerveillement ne s’épuise pas.
Lindau et Ulm m’ont touchée, profondément. Toutes deux ont cette lumière et cette accueillante beauté des lieux où l’on pourrait vivre. Le mot de charme était juste. Ne croyez pas que le charme soit « discret », bourgeois et bien élevé, quelque chose de moins intense et plus poli que la beauté. Non, le charme est un sortilège, puissant mais intime, profond mais secret. Lindau et Ulm eurent pour moi, pour nous, ce charme-là.
J’avais de la ville-île au bord du Lac de Constance un très vague souvenir d’harmonie sereine. Lindau est bien ainsi, toujours ainsi. Préservée, comme par miracle. Préservée de quoi ? Je ne sais pas. De la foule, du brouhaha, des excès en bien ou en mal. Sans doute est-ce un phénomène d’île, car la partie « continentale » de la ville n’a rien de ce charme.
Un phare aux teintes claires, aux proportions modestes, est veillé par un grand lion de pierre : à Lindau, on sait que les phares sont menacés, à plus forte raison quand ils éclairent un Lac-Triple-Frontière. En allemand ce nom serait possible : Dreigrenzensee.
Des rues lumineuses et pavées, un excellent restaurant, des hôtels colorés. Une petite station balnéaire du Nord. Un endroit où se réchauffer, s’éclairer. Un lieu de sourire et de paix. Etrange impression pour une frontière. Je me demande quel a été le sort de Lindau pendant la Seconde Guerre Mondiale, comment se sont noircies ses couleurs, comment s’est voilée sa lumière.
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BAVIÈRE (9) – LES MARCHES DE NEUSCHWANSTEIN
Et je n’ai pas dit les châteaux. On va finir par croire qu’ils m’ont déçue, et ce n’est pas le cas, juste que mes mots les contournent et peinent à se hisser jusqu’à eux, comme il faut se hisser jusqu’à Neuschwanstein. L’ordre est important, bien sûr. Il faut voir Neuschwanstein en dernier. Il faut pouvoir admirer d’abord le délirant mimétisme et l’île mélancolique de Herrenchiemsee , s’étonner de l’intimité de Linderhof avec son double écrin de parc et de montagnes. Il faut pouvoir admirer et s’étonner encore devant le château familial et baroque de Hohenschwangau, se retourner vers Neuschwanstein et se demander pourquoi Ludwig a éprouvé le besoin de faire construire un autre château si près de celui qu’il possédait déjà et qui nous paraît vaste et beau. Il faut tout cela, toutes ces marches, avant de se hisser jusqu’à Neuschwanstein, et de comprendre.
Bien sûr que le nom est significatif, presque adolescent, un nouveau cygne marquant la différence avec l’ancien qu’on s’est contenté d’hériter. Bien sûr qu’on y retrouve des influences, bien sûr qu’il est inachevé, que par endroits on devine presque le mortier, mais — mais Neuschwanstein a cette qualité rarissime, indescriptible, des rêves réalisés. Un rêve entré de plain-pied dans le monde, un rêve fait chair et pierre, une impossibilité, une Porte, un hoquet de la réalité.
Neuschwanstein n’est pas impensable, ni inimaginable. Au contraire il est aisément imaginé, avec enthousiasme. C’est l’incarnation de cette imagination qui est inconcevable. Qu’on ait pu non seulement le rêver, non seulement le désirer, non seulement le deviner — mais le bâtir.
Il y a encore une chose qui le distingue des autres châteaux, de tous les autres : l’absolue cohérence qui le caractérise. Neuschwanstein n’est pas un habitat séculaire, peu à peu reconstruit, transformé, redécoré. Pas de strates. La volonté d’un esprit unique, le fil rouge d’un hommage obsessionnel. Ces fresques wagnériennes qui enluminent tous les murs de leurs teintes vives nous ont plu, et touchés. Je ne m’y attendais pas. Le style est illustratif, décoration de théâtre, romantisme à quatre sous, nobles dames aux longs cheveux, aux vastes manches, chevaliers et dragon, navire arborant une voile blanche, bateau-cygne cinglant vers le port d’Anvers, amants enlacés, adieux déchirants, morts tragiques. Le tout à l’allemande : les personnages sont tous plus larges que nature, plus forts, plus sains, avec surplus de tresses blondes et de hanches larges, mais — cela joue. Cela vit. Cela fonctionne, guide et unit. C’est une folie, tout le château est une folie vertigineuse, mais elle existe. Elle s’est ancrée solidement dans le monde. On peut l’arpenter, l’habiter.
Il faut, cepndant, y monter à pied (ou à la rigueur en calèche) le long d’une route raide. C’est bien. L’effort permet à chacun de réaliser la nature exceptionnelle de Neuschwanstein.
Bien sûr que le nom est significatif, presque adolescent, un nouveau cygne marquant la différence avec l’ancien qu’on s’est contenté d’hériter. Bien sûr qu’on y retrouve des influences, bien sûr qu’il est inachevé, que par endroits on devine presque le mortier, mais — mais Neuschwanstein a cette qualité rarissime, indescriptible, des rêves réalisés. Un rêve entré de plain-pied dans le monde, un rêve fait chair et pierre, une impossibilité, une Porte, un hoquet de la réalité.
Neuschwanstein n’est pas impensable, ni inimaginable. Au contraire il est aisément imaginé, avec enthousiasme. C’est l’incarnation de cette imagination qui est inconcevable. Qu’on ait pu non seulement le rêver, non seulement le désirer, non seulement le deviner — mais le bâtir.
Il y a encore une chose qui le distingue des autres châteaux, de tous les autres : l’absolue cohérence qui le caractérise. Neuschwanstein n’est pas un habitat séculaire, peu à peu reconstruit, transformé, redécoré. Pas de strates. La volonté d’un esprit unique, le fil rouge d’un hommage obsessionnel. Ces fresques wagnériennes qui enluminent tous les murs de leurs teintes vives nous ont plu, et touchés. Je ne m’y attendais pas. Le style est illustratif, décoration de théâtre, romantisme à quatre sous, nobles dames aux longs cheveux, aux vastes manches, chevaliers et dragon, navire arborant une voile blanche, bateau-cygne cinglant vers le port d’Anvers, amants enlacés, adieux déchirants, morts tragiques. Le tout à l’allemande : les personnages sont tous plus larges que nature, plus forts, plus sains, avec surplus de tresses blondes et de hanches larges, mais — cela joue. Cela vit. Cela fonctionne, guide et unit. C’est une folie, tout le château est une folie vertigineuse, mais elle existe. Elle s’est ancrée solidement dans le monde. On peut l’arpenter, l’habiter.
Il faut, cepndant, y monter à pied (ou à la rigueur en calèche) le long d’une route raide. C’est bien. L’effort permet à chacun de réaliser la nature exceptionnelle de Neuschwanstein.
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BAVIÈRE (8) – DANS L’OMBRE DES MONTAGNES
Soir. Notre chambre à l’hôtel Spitzweg, Rothenburg-ob-der-Taube (plafond bas et poutres blanchis, meubles de bois peints à dominante vert forêt, tous assortis aux mêmes motifs, tapisseries, en pleine Alte Stadt, ruelle médiévale à souhait)
C’est certainement pour compenser le retard croissant que j’écris de si longues entrées à ce journal, le présent s’efforçant vainement de reprendre le pas sur le passé.
Ce que je n’ai pas dit.
Qu’à Ettal, un village perdu entre Garmisch-Partenkirchen et le château de Linderhof, dans les Alpes, à deux pas de la frontière autrichienne, se trouve un gigantesque couvent bénédictin, église surmontée d’un dôme de basilique, immenses ailes aux murs peints de blanc et de rouge comme tous les monastères de la région. Le plan est rectangulaire et clos, entourant une vaste cour-jardin, humide et nue en cette saison. Le village autour est minuscule, à peine une dépendance du Kloister, de sa brasserie, de sa manufacture d’objets religieux. Les montagnes escarpées grimpent juste derrière l’une des ailes. Or, ce Kloister, qui abrite toujours des religieuses, est aussi un lycée. Nous étions samedi, et n’avons vu aucun(e) pensionnaire, à peine croisé deux dames à l’allure de professeurs.
Plus qu’un décor possible pour un GN Harry Potter : un décor de roman, pour l’un de ces pensionnats de jeunes filles où le huis clos, la sévérité de la Règle, l’austérité du paysage, ouvrirait sur les plus abyssales folies.
Et je me demande, vraiment, ce que peuvent être les sentiments d’une adolescente d’aujourd’hui interne dans un tel lycée, en un tel lieu, au pied de telles montagnes. Comment elle passe l’hiver. Où elle se réfugie. Quelles patientes constructions mentales elle se bâtit. Si elle rêve des skieurs branchés de Garmisch, ou de la sauvagerie des montagnes inviolées, ou d’une grande ville — ou d’un Autre Monde.
Je n’ai pas dit non plus en quoi Mittenwald nous a irrésistiblement évoqué Twin Peaks. A cause de l’usine que nous avons vu à l’entrée de la ville, bâtie comme une scierie. A cause des montagnes la surmontant, et des forêts de conifères. A cause des maisons de bois comme l’hôtel de Ben Horne. A cause de l’ombre portée sur la ville par ces montagnes écrasantes. A cause de notre Gasthaus un peu en périphérie ; à cause du petit restaurant où nous avons dîné, seuls touristes parmi des autochtones, de la mince et blonde patronne, de la cuisine traditionnelle qu’on y servait : nous étions chez Norma, à l ‘évidence. Nous étions à Twin Peaks, et des esprits rôdaient dans la forêt, attendant de s’emparer d’un notable avide de sensations nouvelles. Nous regardions les fenêtres éclairées des maisons familiales et nous demandions quels secrets, quelles folies elles dissimulaient. Davantage que dans une autre petite ville. Ce frisson-là : lynchien.
C’est certainement pour compenser le retard croissant que j’écris de si longues entrées à ce journal, le présent s’efforçant vainement de reprendre le pas sur le passé.
Ce que je n’ai pas dit.
Qu’à Ettal, un village perdu entre Garmisch-Partenkirchen et le château de Linderhof, dans les Alpes, à deux pas de la frontière autrichienne, se trouve un gigantesque couvent bénédictin, église surmontée d’un dôme de basilique, immenses ailes aux murs peints de blanc et de rouge comme tous les monastères de la région. Le plan est rectangulaire et clos, entourant une vaste cour-jardin, humide et nue en cette saison. Le village autour est minuscule, à peine une dépendance du Kloister, de sa brasserie, de sa manufacture d’objets religieux. Les montagnes escarpées grimpent juste derrière l’une des ailes. Or, ce Kloister, qui abrite toujours des religieuses, est aussi un lycée. Nous étions samedi, et n’avons vu aucun(e) pensionnaire, à peine croisé deux dames à l’allure de professeurs.
Plus qu’un décor possible pour un GN Harry Potter : un décor de roman, pour l’un de ces pensionnats de jeunes filles où le huis clos, la sévérité de la Règle, l’austérité du paysage, ouvrirait sur les plus abyssales folies.
Et je me demande, vraiment, ce que peuvent être les sentiments d’une adolescente d’aujourd’hui interne dans un tel lycée, en un tel lieu, au pied de telles montagnes. Comment elle passe l’hiver. Où elle se réfugie. Quelles patientes constructions mentales elle se bâtit. Si elle rêve des skieurs branchés de Garmisch, ou de la sauvagerie des montagnes inviolées, ou d’une grande ville — ou d’un Autre Monde.
Je n’ai pas dit non plus en quoi Mittenwald nous a irrésistiblement évoqué Twin Peaks. A cause de l’usine que nous avons vu à l’entrée de la ville, bâtie comme une scierie. A cause des montagnes la surmontant, et des forêts de conifères. A cause des maisons de bois comme l’hôtel de Ben Horne. A cause de l’ombre portée sur la ville par ces montagnes écrasantes. A cause de notre Gasthaus un peu en périphérie ; à cause du petit restaurant où nous avons dîné, seuls touristes parmi des autochtones, de la mince et blonde patronne, de la cuisine traditionnelle qu’on y servait : nous étions chez Norma, à l ‘évidence. Nous étions à Twin Peaks, et des esprits rôdaient dans la forêt, attendant de s’emparer d’un notable avide de sensations nouvelles. Nous regardions les fenêtres éclairées des maisons familiales et nous demandions quels secrets, quelles folies elles dissimulaient. Davantage que dans une autre petite ville. Ce frisson-là : lynchien.
BAVIÈRE (7) – OMBRES & LUMIÈRES
Dans l’extraordinaire Café Tröglen, avec vue sur la cathédrale d’Ulm après la montée (puis descente) des 768 marches de sa flèche et en compensant cet effort par la dégustation de succulentes pâtisseries.
Difficile dans ces conditions de retrouver l’impression laissée par les Alpes bavaroises, les souvenirs qu’elles ont éveillés en moi. Pas des souvenirs d’événements, plutôt des souvenirs d’œuvres ou de sentiments.
Ces paysages, ceux de Berchtesgaden et des environs, m’ont rappelée d’anciennes découvertes, d’anciennes impressions. Les ténèbres qui affleurent dans les contes de Grimm, et que la lecture de Fables a réveillées. Comprendre qu’un être tel que Frau Totenkinder aurait pu vivre ici, et qu’en effet elle est bien plus dangereuse que Baba Yaga. Comprendre aussi ce que sont devenus Hansel et Gretel.
Le fonds légendaire a bien la couleur des terres qui l’ont engendré. Le Roi des Aulnes, ses différentes versions, la fascination mortifère qui emplit le roman de Michel Tournier et qui m’avait tétanisée, adolescente : la majesté et le péril jumeaux.
Aussi ce qui affleure dans les dessins de Hugo, dans certains des poèmes de La Légende des Siècles, dans certaines scènes des Burgraves. Hier soir nous avons parlé de Hugo pendant tout le dîner, et en effet ses dessins disent juste, la lumière et l’ombre, l’ombre surtout, la roche qui se métamorphose en burg au sommet. En roulant hier vers l’ouest au crépuscule, en regardant cette autre lumière, les lignes noires des pins, je pensais aux peintres allemands, à leurs paysages et à leurs lumières, à certaines toiles de Caspar David Friedrich. Je ne prétends pas défendre un « déterminisme du paysage ». Il s’agit seulement des œuvres qui ont modelé mon propre regard sur l’Allemagne, donc mon attente. L’original me frappe au visage.
Le salon de thé s’est effacé. Pourtant les gâteaux ne sont pas moins délicieux, mais leur goût s’est dissous derrière le pouvoir de suggestion des montagnes, de l’ombre, des visions.
Et je ne trouve plus de mots pour les choses plus riantes, pour dire nos fous rires. Pour raconter par exemple qu’à Berchtesgaden, juré craché, nous avons vu une Jeep d’Intervention d’Urgence de l’Ordre Franciscain, gyrophare compris, et que nous avons imaginé les moines en robe, godillots et casque de combat, armés d’eau bénite, descendre la rampe du monastère pour répondre à un appel d’urgence.
Et puis, bien sûr, il y eut les châteaux de Ludwig.
Difficile dans ces conditions de retrouver l’impression laissée par les Alpes bavaroises, les souvenirs qu’elles ont éveillés en moi. Pas des souvenirs d’événements, plutôt des souvenirs d’œuvres ou de sentiments.
Ces paysages, ceux de Berchtesgaden et des environs, m’ont rappelée d’anciennes découvertes, d’anciennes impressions. Les ténèbres qui affleurent dans les contes de Grimm, et que la lecture de Fables a réveillées. Comprendre qu’un être tel que Frau Totenkinder aurait pu vivre ici, et qu’en effet elle est bien plus dangereuse que Baba Yaga. Comprendre aussi ce que sont devenus Hansel et Gretel.
Le fonds légendaire a bien la couleur des terres qui l’ont engendré. Le Roi des Aulnes, ses différentes versions, la fascination mortifère qui emplit le roman de Michel Tournier et qui m’avait tétanisée, adolescente : la majesté et le péril jumeaux.
Aussi ce qui affleure dans les dessins de Hugo, dans certains des poèmes de La Légende des Siècles, dans certaines scènes des Burgraves. Hier soir nous avons parlé de Hugo pendant tout le dîner, et en effet ses dessins disent juste, la lumière et l’ombre, l’ombre surtout, la roche qui se métamorphose en burg au sommet. En roulant hier vers l’ouest au crépuscule, en regardant cette autre lumière, les lignes noires des pins, je pensais aux peintres allemands, à leurs paysages et à leurs lumières, à certaines toiles de Caspar David Friedrich. Je ne prétends pas défendre un « déterminisme du paysage ». Il s’agit seulement des œuvres qui ont modelé mon propre regard sur l’Allemagne, donc mon attente. L’original me frappe au visage.
Le salon de thé s’est effacé. Pourtant les gâteaux ne sont pas moins délicieux, mais leur goût s’est dissous derrière le pouvoir de suggestion des montagnes, de l’ombre, des visions.
Et je ne trouve plus de mots pour les choses plus riantes, pour dire nos fous rires. Pour raconter par exemple qu’à Berchtesgaden, juré craché, nous avons vu une Jeep d’Intervention d’Urgence de l’Ordre Franciscain, gyrophare compris, et que nous avons imaginé les moines en robe, godillots et casque de combat, armés d’eau bénite, descendre la rampe du monastère pour répondre à un appel d’urgence.
Et puis, bien sûr, il y eut les châteaux de Ludwig.
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dimanche 24 février 2008
BAVIÈRE (6) – D’UNE IDYLLE SOUILLÉE
Gasthof Köchlin, Lindau
Le retard prend d’alarmantes proportions. Les souvenirs me fuient. Une autre Histoire Possible, ou son début, est née pendant la journée de samedi.
Que feriez-vous si l’endroit que vous trouvez le plus beau au monde, le plus magique, le plus cher à votre cœur, devenait la résidence d’un tyran épouvantable, dont le nom deviendrait indissolublement attaché à ce lieu ? Sûrement vous vous efforceriez de dissoudre cette tache, une patiente entreprise de communication, pour réapprendre au monde que ce lieu existait avant le tyran, pour lui créer d’autres souvenirs et effacer peu à peu ceux-là. Un long travail, mais possible.
Et avant qu’il soit accompli ? Oseriez-vous avouer votre amour pour ce lieu, oseriez-vous vanter ses mérites ? Prendriez-vous le risque de lire le doute et l’horreur dans les yeux de vos interlocuteurs ? Même seul, goûteriez-vous le même plaisir à y retourner vous abreuver de sa beauté ? N’aurait-elle pas un goût amer et coupable, le goût des choses souillées, pendant le longues années ?
Et maintenant, imaginez pire. Imaginez que l’endroit que vous trouvez le plus merveilleux au monde, le plus harmonieux, celui qui touche le plus votre cœur, ait été BÂTI par un tyran abominable et sanguinaire — mais esthète, et doté d’un goût sûr.
Que feriez-vous alors ?
Je ne sais pas ce que je ferais. Et si j’écrivais l’histoire, je ne sais pas comment elle finirait.
Mais elle est née du nom et de l’idée, puis des paysages, de Berchtesgaden.
Car vraiment les paysages de cette région sont parmi les plus beaux qu’il m’ait été donné de voir.
Des montagnes dont la présence et la masse vous écrasent ou vous élèvent l’âme, comme le font en Ecosse certaines landes des plus sauvages, comme le fait en Irlande le Connemara. Un paysage qui nous interdit les demi-mesures, les demi-sentiments.
Des pics follement découpés, des arêtes gigantesques et aiguës qui redessinent les contours du ciel, des flancs immenses éclairés de neige, et les taches sombres de la roche et des pins. Sans doute ce contraste — la neige étincelante, une terre particulièrement sombre — est-il pour beaucoup dans l’impressionnante beauté des lieux.
Pas toujours si impressionnantes : des cabanes en rondins perdues dans les alpages, sûrement pour y abriter le foin, les berges du Königsee, l’eau si claire, l’île gracieuse et mélancolique à quelques brasses de la rive — étaient d’une beauté plus douce, presque idyllique.
Le retard prend d’alarmantes proportions. Les souvenirs me fuient. Une autre Histoire Possible, ou son début, est née pendant la journée de samedi.
Que feriez-vous si l’endroit que vous trouvez le plus beau au monde, le plus magique, le plus cher à votre cœur, devenait la résidence d’un tyran épouvantable, dont le nom deviendrait indissolublement attaché à ce lieu ? Sûrement vous vous efforceriez de dissoudre cette tache, une patiente entreprise de communication, pour réapprendre au monde que ce lieu existait avant le tyran, pour lui créer d’autres souvenirs et effacer peu à peu ceux-là. Un long travail, mais possible.
Et avant qu’il soit accompli ? Oseriez-vous avouer votre amour pour ce lieu, oseriez-vous vanter ses mérites ? Prendriez-vous le risque de lire le doute et l’horreur dans les yeux de vos interlocuteurs ? Même seul, goûteriez-vous le même plaisir à y retourner vous abreuver de sa beauté ? N’aurait-elle pas un goût amer et coupable, le goût des choses souillées, pendant le longues années ?
Et maintenant, imaginez pire. Imaginez que l’endroit que vous trouvez le plus merveilleux au monde, le plus harmonieux, celui qui touche le plus votre cœur, ait été BÂTI par un tyran abominable et sanguinaire — mais esthète, et doté d’un goût sûr.
Que feriez-vous alors ?
Je ne sais pas ce que je ferais. Et si j’écrivais l’histoire, je ne sais pas comment elle finirait.
Mais elle est née du nom et de l’idée, puis des paysages, de Berchtesgaden.
Car vraiment les paysages de cette région sont parmi les plus beaux qu’il m’ait été donné de voir.
Des montagnes dont la présence et la masse vous écrasent ou vous élèvent l’âme, comme le font en Ecosse certaines landes des plus sauvages, comme le fait en Irlande le Connemara. Un paysage qui nous interdit les demi-mesures, les demi-sentiments.
Des pics follement découpés, des arêtes gigantesques et aiguës qui redessinent les contours du ciel, des flancs immenses éclairés de neige, et les taches sombres de la roche et des pins. Sans doute ce contraste — la neige étincelante, une terre particulièrement sombre — est-il pour beaucoup dans l’impressionnante beauté des lieux.
Pas toujours si impressionnantes : des cabanes en rondins perdues dans les alpages, sûrement pour y abriter le foin, les berges du Königsee, l’eau si claire, l’île gracieuse et mélancolique à quelques brasses de la rive — étaient d’une beauté plus douce, presque idyllique.
BAVIÈRE (5) – LA CONSPIRATION DES CANARDS
Dans la voiture (ai-je dit qu’elle était immense ? et qu’il n’y a aucune limitation de vitesse sur la plupart des routes et autoroutes allemandes ?) Entre Mittenwald et Garmisch-Partenkirchen.
Encore une histoire-en-retard. Les canards s’agitent et s’assemblent sur le Chiemsee, lançant leurs appels éraillés. Un tout jeune enfant s’approche d’eux, et de l’eau. Sa mère le récupère au vol. Les canards continuent leur manège. Le bébé tente de se glisser sous une rambarde pour rejoindre les canards, fût-ce en plongeant dans le lac. À nouveau, sa mère l’en empêche. Et une Possibilité lentement se fait jour dans notre esprit : et si les canards n’étaient pas ces inoffensives petites bêtes auxquelles on jette du pain, ces volatiles un peu sots dont on moque le cri et qu’on caricature en Donald Duck ? Et si les canards avaient un vrai pouvoir de nuisance ? Si leur concert discordant possédait une force hypnotique, oh, pas bien grande peut-être, mais suffisante pour affecter, à six ou sept canards, un esprit de bébé ? Que peuvent-ils faire alors à vingt ? À cent ? La mère marche sur le ponton avec son enfant ; elles sont seules à présent, entourées d’eau et de canards, se peut-il… ? Se peut-il que les disparus, les noyés qu’on ne retrouve pas, les suicidés qui se précipitent soudain sans raison dans un lac ou une rivière… ? Se peut-il que les sirènes… ? Se peut-il qu’Ophélie… ? Que Ludwig lui-même… ? Après tout, personne n’a jamais expliqué comment son médecin et lui ont été retrouvés morts noyés sur les berges d’un lac dans à peine un mètre d’eau.
Si cette histoire était une nouvelle, elle serait noire, la mère et l’enfant ne reviendraient jamais de ce ponton, ou peut-être la mère regarderait-elle, somnolente, impuissante, la minuscule fillette disparaître parmi les canards, et l’histoire serait pire encore.
Mais le diariste et le voyageur prêtent un serment d’approximative vérité. Les canards, cette fois, ont échoué. L’enfant a été sauvée. N’empêche qu’ils ont suivi par dizaines notre bateau s’éloignant de l’Ile des Hommes et que leurs cris nous ont accompagné longtemps.
Et personne ne sait. Les enfants rient, et leur jettent du pain — en soustrayant au passage quelques morceaux. Les chats savent, sans doute. Mais ce sont eux qu’on suspecte des pires maléfices. Les canards les ont fuis dans l’eau, que les chats redoutent. Ils doivent se contenter, par dépit, des autres oiseaux. Ils se contentent de guetter de leur œil sage depuis la berge. Les chats connaissent la Conspiration des Canards, voient l’aveuglement des hommes, et craignent le pire.
Encore une histoire-en-retard. Les canards s’agitent et s’assemblent sur le Chiemsee, lançant leurs appels éraillés. Un tout jeune enfant s’approche d’eux, et de l’eau. Sa mère le récupère au vol. Les canards continuent leur manège. Le bébé tente de se glisser sous une rambarde pour rejoindre les canards, fût-ce en plongeant dans le lac. À nouveau, sa mère l’en empêche. Et une Possibilité lentement se fait jour dans notre esprit : et si les canards n’étaient pas ces inoffensives petites bêtes auxquelles on jette du pain, ces volatiles un peu sots dont on moque le cri et qu’on caricature en Donald Duck ? Et si les canards avaient un vrai pouvoir de nuisance ? Si leur concert discordant possédait une force hypnotique, oh, pas bien grande peut-être, mais suffisante pour affecter, à six ou sept canards, un esprit de bébé ? Que peuvent-ils faire alors à vingt ? À cent ? La mère marche sur le ponton avec son enfant ; elles sont seules à présent, entourées d’eau et de canards, se peut-il… ? Se peut-il que les disparus, les noyés qu’on ne retrouve pas, les suicidés qui se précipitent soudain sans raison dans un lac ou une rivière… ? Se peut-il que les sirènes… ? Se peut-il qu’Ophélie… ? Que Ludwig lui-même… ? Après tout, personne n’a jamais expliqué comment son médecin et lui ont été retrouvés morts noyés sur les berges d’un lac dans à peine un mètre d’eau.
Si cette histoire était une nouvelle, elle serait noire, la mère et l’enfant ne reviendraient jamais de ce ponton, ou peut-être la mère regarderait-elle, somnolente, impuissante, la minuscule fillette disparaître parmi les canards, et l’histoire serait pire encore.
Mais le diariste et le voyageur prêtent un serment d’approximative vérité. Les canards, cette fois, ont échoué. L’enfant a été sauvée. N’empêche qu’ils ont suivi par dizaines notre bateau s’éloignant de l’Ile des Hommes et que leurs cris nous ont accompagné longtemps.
Et personne ne sait. Les enfants rient, et leur jettent du pain — en soustrayant au passage quelques morceaux. Les chats savent, sans doute. Mais ce sont eux qu’on suspecte des pires maléfices. Les canards les ont fuis dans l’eau, que les chats redoutent. Ils doivent se contenter, par dépit, des autres oiseaux. Ils se contentent de guetter de leur œil sage depuis la berge. Les chats connaissent la Conspiration des Canards, voient l’aveuglement des hommes, et craignent le pire.
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samedi 23 février 2008
BAVIÈRE (4) – VIES DE CHÂTEAUX
Mittenwald (le Twin Peaks allemand), Gästehaus Edelhuber
Hier soir je n’ai pas pris le temps d’écrire. A la place, nous avons longuement barboté dans la vaste et et profonde vasque de notre salle de bains et non moins longuement savouré un succulent dîner. Hier soir, nous dormions dans notre Relais & Châteaux, la Résidenz Heinz Winkler, à Aschau. Heinz Winkler est le nom du chef — et mérite ce titre. Des hors d’œuvre délicats au riche chocolat du dessert, en passant par le plus tendre des agneaux de lait, tout était merveilleux, sauf l’obligation imposée à mon Amour de passer une veste de costume. Pas de changer ses jeans pour des pantalons plus élégants, non, ni de remplacer ses docks usées et salies, tout cela sera caché par la table — juste de passer une veste de costume, fournie par l’hôtel, par-dessus ses vêtements.
Et j’en ai négligé ta propre vie de château, Ludwig, tes propres rêves de grandeur. Les rois aussi ont des rêves de grandeur, ils poussent juste la folie un peu plus loin — jusqu’à dépasser les bornes, jusqu’à ne plus laisser d’échappatoire, jusqu’à se condamner à mort.
La première de mes histoires-en-retard est donc une rêverie en bleu et or, l’or du soleil absolu, d’un passé idéalisé et impossible à reproduire, et le bleu — j’ai pensé bien sûr à ma breda Nathalie en (re)découvrant que le bleu était la couleur préférée de Ludwig. Etait-ce seulement à cause du bleu royal de la France tant admirée ? N’était-ce pas une préférence qui plongeait plus loin ses racines, jusqu’au bleu des mages rêveurs d’équilibre ou à mes propres lancinants « Pourquoi le bleu ? » Le bleu des deux grands absolus que sont à l’homme le ciel et la mer, le bleu donné à Marie avant d’être attaché aux rois comme un signe d’élection surnaturelle.
Ce rêve bleu et or de Ludwig est aussi celui d’un conte de fées : le roi de Bavière possédait la table du conte, la Petite-Table-Couvre-Toi qui sur un mot de commande se couvre de mets chaque soir. Il avait bien compris où résidait la magie de son temps, ce roi faussement épris du passé — des rouages et des poulies, la mécanique devenue magie moderne, celle de Houdini, du Prestige et de la science version steampunk. Mon histoire hésite sur le fil : serait-il plus beau que Ludwig possède la véritable table enchantée des Fées, un présent d’Aubéron ? Ou que ses ingénieurs en aient créé un équivalent mécanique, version améliorée de celle qu’on peut voir à Herrenchiemsee ? Peut-être le roi fou de Bavière et son énigme sont-ils sur ce fil-là, sur cette hésitation-là. Ou peut-être sur ce fil se divise l’une des trames de notre univers. Car voici un autre fil, une autre infime divergence : le château Falkenstein existe. Il porte ce nom. On en trouve des esquisses de toutes sortes, jusqu’aux plus baroques, plus féeriques et folles encore que Neuschwanstein.
Falkenstein existe et c’est un rêve. Rêve de Ludwig et des quelques architectes auxquels il en avait fait commande avant que s’écroulent son monde et son esprit — et ses finances — avant la chute. Falkenstein existe dans la bibliothèque de Dream, et peut-être dans un coin de son royaume.
Mais Herrenchiemsee est un lieu bien différent. Un désir forcené de soleil et de rayonnement bâti dans une île de solitude mélancolique, aux teintes adoucies par l’hiver, une île qui n’abritait que des moines et des oiseaux, dans les eaux argentées du plus grand lac de Bavière. Les bouleaux aussi, si hauts et minces, pâles, démesurément tendus vers le ciel comme pour faire oublier leur fragilité — les bouleaux aussi parlent de Ludwig. Mais le temps a passé : Ludwig le Fou avait-il vu que ses châteaux attireraient en Bavière des foules venues de tous pays ? Le temps a passé et certains bouleaux ont vieilli et survécu jusqu’à devenir épais et noueux comme des noyers.
Hier soir je n’ai pas pris le temps d’écrire. A la place, nous avons longuement barboté dans la vaste et et profonde vasque de notre salle de bains et non moins longuement savouré un succulent dîner. Hier soir, nous dormions dans notre Relais & Châteaux, la Résidenz Heinz Winkler, à Aschau. Heinz Winkler est le nom du chef — et mérite ce titre. Des hors d’œuvre délicats au riche chocolat du dessert, en passant par le plus tendre des agneaux de lait, tout était merveilleux, sauf l’obligation imposée à mon Amour de passer une veste de costume. Pas de changer ses jeans pour des pantalons plus élégants, non, ni de remplacer ses docks usées et salies, tout cela sera caché par la table — juste de passer une veste de costume, fournie par l’hôtel, par-dessus ses vêtements.
Et j’en ai négligé ta propre vie de château, Ludwig, tes propres rêves de grandeur. Les rois aussi ont des rêves de grandeur, ils poussent juste la folie un peu plus loin — jusqu’à dépasser les bornes, jusqu’à ne plus laisser d’échappatoire, jusqu’à se condamner à mort.
La première de mes histoires-en-retard est donc une rêverie en bleu et or, l’or du soleil absolu, d’un passé idéalisé et impossible à reproduire, et le bleu — j’ai pensé bien sûr à ma breda Nathalie en (re)découvrant que le bleu était la couleur préférée de Ludwig. Etait-ce seulement à cause du bleu royal de la France tant admirée ? N’était-ce pas une préférence qui plongeait plus loin ses racines, jusqu’au bleu des mages rêveurs d’équilibre ou à mes propres lancinants « Pourquoi le bleu ? » Le bleu des deux grands absolus que sont à l’homme le ciel et la mer, le bleu donné à Marie avant d’être attaché aux rois comme un signe d’élection surnaturelle.
Ce rêve bleu et or de Ludwig est aussi celui d’un conte de fées : le roi de Bavière possédait la table du conte, la Petite-Table-Couvre-Toi qui sur un mot de commande se couvre de mets chaque soir. Il avait bien compris où résidait la magie de son temps, ce roi faussement épris du passé — des rouages et des poulies, la mécanique devenue magie moderne, celle de Houdini, du Prestige et de la science version steampunk. Mon histoire hésite sur le fil : serait-il plus beau que Ludwig possède la véritable table enchantée des Fées, un présent d’Aubéron ? Ou que ses ingénieurs en aient créé un équivalent mécanique, version améliorée de celle qu’on peut voir à Herrenchiemsee ? Peut-être le roi fou de Bavière et son énigme sont-ils sur ce fil-là, sur cette hésitation-là. Ou peut-être sur ce fil se divise l’une des trames de notre univers. Car voici un autre fil, une autre infime divergence : le château Falkenstein existe. Il porte ce nom. On en trouve des esquisses de toutes sortes, jusqu’aux plus baroques, plus féeriques et folles encore que Neuschwanstein.
Falkenstein existe et c’est un rêve. Rêve de Ludwig et des quelques architectes auxquels il en avait fait commande avant que s’écroulent son monde et son esprit — et ses finances — avant la chute. Falkenstein existe dans la bibliothèque de Dream, et peut-être dans un coin de son royaume.
Mais Herrenchiemsee est un lieu bien différent. Un désir forcené de soleil et de rayonnement bâti dans une île de solitude mélancolique, aux teintes adoucies par l’hiver, une île qui n’abritait que des moines et des oiseaux, dans les eaux argentées du plus grand lac de Bavière. Les bouleaux aussi, si hauts et minces, pâles, démesurément tendus vers le ciel comme pour faire oublier leur fragilité — les bouleaux aussi parlent de Ludwig. Mais le temps a passé : Ludwig le Fou avait-il vu que ses châteaux attireraient en Bavière des foules venues de tous pays ? Le temps a passé et certains bouleaux ont vieilli et survécu jusqu’à devenir épais et noueux comme des noyers.
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jeudi 21 février 2008
BAVIÈRE (3) – MAGIE DE MUS(É)ES
Munich, Pension Isabella
Il faudrait parler aussi des musées, de cette très riche Alte Pinakothek que nous avons visitée et des musées en général.
Je ressors toujours frustrée des musées de peinture. On y voit trop de tableaux, on y rencontre trop de gens, on voudrait se souvenir de tous, on se jure qu’on va y arriver cette fois, on se rappellera la fragilité anorexique de cette adolescente en robe d’apparat, on se souviendra du regard dominateur de ce notable blond en habit noir, on n’oubliera pas les mains si vivantes, si présentes, de ce couple d’époux, on se souviendra… Mais déjà les noms s’effacent, on n’est plus sûr des visages auxquels ils correspondent. Pourtant ils étaient tellement là, les tableaux comme des mains tendues vers leurs âmes, on croyait les reconnaître, on voulait les connaître mieux — mais ils étaient trop nombreux, trop nombreux, vraiment, ils se dissolvent et se mélangent, Dürer et puis Ruben, Poussin et puis Filippo Lippi, Velazquez et le Greco, la formidable vérité photographique de Canaletto et les bouleversants pointillés de couleur de Guardi, et Judith et Marie-Madeleine, et tous les apôtres, et Lucrèce approchant le poignard de son sein, et ces satyres suintant d’animale perversité.
On se souviendra de ceci, pourtant. Brueghel peint toujours la même ville portuaire, une ville imaginaire entre la montagne et la mer, avec une forteresse étagée sur la colline, de hautes maisons de ville, des ponts à arcades de pierre qui s’avancent dans la mer vers des avant-postes fortifiés, et cette lumière bleue et verte qui ne ressemble à aucune lumière de ce monde. Il peint toujours le même port et c’est celui d’Ambre. Il n’était sur aucune carte postale, mais je n’oublierai pas
Il faudrait parler aussi des musées, de cette très riche Alte Pinakothek que nous avons visitée et des musées en général.
Je ressors toujours frustrée des musées de peinture. On y voit trop de tableaux, on y rencontre trop de gens, on voudrait se souvenir de tous, on se jure qu’on va y arriver cette fois, on se rappellera la fragilité anorexique de cette adolescente en robe d’apparat, on se souviendra du regard dominateur de ce notable blond en habit noir, on n’oubliera pas les mains si vivantes, si présentes, de ce couple d’époux, on se souviendra… Mais déjà les noms s’effacent, on n’est plus sûr des visages auxquels ils correspondent. Pourtant ils étaient tellement là, les tableaux comme des mains tendues vers leurs âmes, on croyait les reconnaître, on voulait les connaître mieux — mais ils étaient trop nombreux, trop nombreux, vraiment, ils se dissolvent et se mélangent, Dürer et puis Ruben, Poussin et puis Filippo Lippi, Velazquez et le Greco, la formidable vérité photographique de Canaletto et les bouleversants pointillés de couleur de Guardi, et Judith et Marie-Madeleine, et tous les apôtres, et Lucrèce approchant le poignard de son sein, et ces satyres suintant d’animale perversité.
On se souviendra de ceci, pourtant. Brueghel peint toujours la même ville portuaire, une ville imaginaire entre la montagne et la mer, avec une forteresse étagée sur la colline, de hautes maisons de ville, des ponts à arcades de pierre qui s’avancent dans la mer vers des avant-postes fortifiés, et cette lumière bleue et verte qui ne ressemble à aucune lumière de ce monde. Il peint toujours le même port et c’est celui d’Ambre. Il n’était sur aucune carte postale, mais je n’oublierai pas
BAVIÈRE (2) – MUNICH-AUX-MERVEILLES
München, Pension Isabella
Munich est une Cité des Merveilles Architecturales.
On y trouve des merveilles Art Déco, des merveilles années 20, des merveilles néo-gothiques presque indiscernables du vrai gothique flamboyant, des merveilles Renaissance aux façades en trompe l’œil, des enseignes en fer forgé alambiquées, des appliques à tête de dragon, des gargouilles, des cimetières gothico-romantiques où le lierre se change en monstre-mandragore et déracine les stèles de pierre, des clochers vertigineux, des bâtisses presque italiennes à arcades, peintes d’un chaleureux ocre jaune, des vitraux hauts de dizaines de mètres, des fenêtres de verre dépoli et de fer forgé — des églises où que l’on porte le regard, dans la Vieille Ville.
Et on y trouve, sur la Marienplatz, la plus folle de ces merveilles, un édifice de géant qui borde tout le nord de la place et s’enfonce dans les rues adjacentes — la folie d’un géant délicat qui aurait ciselé chaque parcelle, chaque corniche, de cette façade — palais de sculpture, dentelle monumentale et infinie qui défie le regard et la description.
Nous sommes restés tétanisés sur la place, les yeux errants, ne sachant où s’arrêter et s’accrochant partout.
Nous avions tous deux la même impression de Jamais-Vu, d’écrasement ébloui, de Trop-Grand-Pour-Etre-Vrai. Les guides l’expédient en une ligne : façade néogothique du nouveau Rathaus, fin XiXe, début XXe. Pas une étoile.
Alors c’était peut-être bien une folie comme la tienne, Ludwig, qui nous coupait le souffle.
BAVIÈRE (1) – EXAMEN PRÉLIMINAIRE : LUDWIG
München, Pension Isabella
La Bavière a pour moi, inexorablement, les couleurs de Ludwig. Je suis tombée amoureuse de lui adolescente, comme tous les adolescents, mais il m’a suivie, et accompagnée en pointillés bien au-delà de mon adolescence.
Dans un de mes livres d’enfant sa silhouette déjà m’émouvait . Un garçonnet blond et fragile, aux yeux rêveurs, poète précoce, qui fascinait sa pétulante cousine Sissi. « Ludwig est poète, assenait la fillette, et les poètes ont toujours raison. »
Je l’ai retrouvé adolescente. Je suis tombée amoureuse de lui en même temps que de Visconti, on me laissait seule la nuit dans l’appartement pour la première fois, j’avais quatorze ans, et je découvrais le Cinéma de Minuit avec la jouissance du fruit interdit. Ludwig était devenu brun, mais toujours pâle et frêle, presque fiévreux, avec la beauté dangereuse et abîmée, littéralement précipitée dans l’abîme, d’Helmut Berger. Et dans les neiges de Bavière il retrouvait sa cousine Elisabeth, mais ils étaient adultes et crépusculaires, loin de leurs paradis enfantins, evec la grâce déchirante de leur double folie, de leur double errance, de leur double gâchis.
Je l’ai pisté dans mes exposés allemands de lycéenne.
Je l’ai lu dans un roman-voyage-biographie de Philippe Le Guillou.
Je l’ai écouté derrière chacune des notes de Wagner, dans les rêves condamnés de Lohengrin et dans la pureté presque désespérée d’un Parsifal perdu dans un monde dont les règles lui échappent.
Je l’ai retrouvé par surprise, amendé, différent, soustrait à la démence, dans le monde de Château Falkenstein, où une deuxième chance lui est offerte.
En Bavière il était forcément mon guide.
Mais je viens de passer une après-midi à Munich, il n’y était pas, et la ville était pourtant un écrin merveilleux pour son absence.
Les deux Ludwig de Bavière que nous avons croisés étaient très différents de lui : le sombre mausolée d’un empereur gardé par des chevaliers en armure noire — la statue équestre du roi qui a choisi Lola Montès. Deux souverains bien plus forts, bien plus actifs que lui.
La Bavière a pour moi, inexorablement, les couleurs de Ludwig. Je suis tombée amoureuse de lui adolescente, comme tous les adolescents, mais il m’a suivie, et accompagnée en pointillés bien au-delà de mon adolescence.
Dans un de mes livres d’enfant sa silhouette déjà m’émouvait . Un garçonnet blond et fragile, aux yeux rêveurs, poète précoce, qui fascinait sa pétulante cousine Sissi. « Ludwig est poète, assenait la fillette, et les poètes ont toujours raison. »
Je l’ai retrouvé adolescente. Je suis tombée amoureuse de lui en même temps que de Visconti, on me laissait seule la nuit dans l’appartement pour la première fois, j’avais quatorze ans, et je découvrais le Cinéma de Minuit avec la jouissance du fruit interdit. Ludwig était devenu brun, mais toujours pâle et frêle, presque fiévreux, avec la beauté dangereuse et abîmée, littéralement précipitée dans l’abîme, d’Helmut Berger. Et dans les neiges de Bavière il retrouvait sa cousine Elisabeth, mais ils étaient adultes et crépusculaires, loin de leurs paradis enfantins, evec la grâce déchirante de leur double folie, de leur double errance, de leur double gâchis.
Je l’ai pisté dans mes exposés allemands de lycéenne.
Je l’ai lu dans un roman-voyage-biographie de Philippe Le Guillou.
Je l’ai écouté derrière chacune des notes de Wagner, dans les rêves condamnés de Lohengrin et dans la pureté presque désespérée d’un Parsifal perdu dans un monde dont les règles lui échappent.
Je l’ai retrouvé par surprise, amendé, différent, soustrait à la démence, dans le monde de Château Falkenstein, où une deuxième chance lui est offerte.
En Bavière il était forcément mon guide.
Mais je viens de passer une après-midi à Munich, il n’y était pas, et la ville était pourtant un écrin merveilleux pour son absence.
Les deux Ludwig de Bavière que nous avons croisés étaient très différents de lui : le sombre mausolée d’un empereur gardé par des chevaliers en armure noire — la statue équestre du roi qui a choisi Lola Montès. Deux souverains bien plus forts, bien plus actifs que lui.
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