Le Clos du Petit Marray
Fontevraud est si proche et si chère que je peine, d’un coup, à parler de Loches et de son imposante citadelle médiévale, de son vertigineux donjon, d’autant plus vertigineux que planchers et plafonds ont disparu et que l’on peut se pencher de la coursive à son sommet et apercevoir les gens minuscules qui visitent les celliers.
Loches, comme Fontevraud, fut prison. Mais pas de miracle et pas de roses, là-bas. Le gracieux fantôme d’Agnès Sorel est bien loin. Loches est une vraie prison, massive, écrasante. Prison pendant des siècles de graffitis, de Louis XI au XXe siècle, tellement de graffitis de prisonniers « qui ne sont pas contan » comme Ludovic Sforza, et qui cherchent désespérément à s’occuper, qu’ils sont intégrés à la visite et aux panneaux explicatifs du site. Il est toujours amusant de découvrir le sort de ces châteaux, après la Révolution, ceux qui ont été soustraits à la vindicte par la popularité de leur seigneur ou de leur dame ; ceux qui ont été pillés et détruits ; ceux qui ont été recyclés pour usage républicain : sous-préfecture ou prison d’Etat ; ceux qui seront, un peu plus tard, offerts en fiefs, principautés d’opérette, aux maréchaux d’Empire. Loches et sa citadelle furent très lucidement partagés en deux : au sous-préfet les Logis Royaux avec leur façade Renaissance et le spectre de la Dame de Beauté — aux prisonniers l’épais donjon médiéval et ses dépendances.
Partout en pays de Loire on exhume, répare, réhabilite, reconstitue. L’Histoire s’écrit aussi dans ce sens, à rebours du temps. Les ossements* sont un enjeu, un indice, une piste, parfois une machine à remonter le temps. Partout l’on vend, achète, dérobe des reliques de saints. À Loches, la science identifie les restes de la belle Agnès, retrace son histoire dans ses os, de ses grossesses à la date de sa mort, de la thèse de son empoisonnement à son célèbre et mystérieux visage. À Fontevraud on se dispute les restes du fondateur, Robert d’Arbrissel, rendu à l’abbaye sans son cœur — on se dispute même des gisants vides d’os, devenus des reliques de bois et de pierre : l’Angleterre continue régulièrement de réclamer à la France la restitution de ses Plantagenêts, et la France de pieusement les refuser. Le pèlerinage est toujours un enjeu, auquel je n’échappe pas.
Demain seulement nous remonterons la Loire et le cours du temps, vers le monde du XXIe siècle, et le rythme effréné de nos vies cette année.
*je ris en repensant aux fillettes d’Ussé et à la feinte terreur exprimée devant la « tête de crâne mort » dans l’antre de la Sorcière
Mes carnets de voyage : Sahara (avril 2005), Syrie (avril 2006), Châteaux de la Loire (avril 2007), Bavière (février 2008), Istanbul (avril 2009)...
samedi 28 avril 2007
CHÂTEAUX DE LA LOIRE (14) : DES MIRACLES & DES ROSES
Le Clos du Petit Marray
Notre dernière chambre d’hôtes est une suite. Salon, canapé, table, télévision, placards, four à micro-ondes et réfrigérateur, salle de bains (avec baignoire, ai-je dit combien Nous aimions les bains ?), chambre à décor maritime qui plairait à ma mère, enfin toilettes. On pourrait très bien y passer une semaine.
La journée fut plus médiévale, à la suite de Chinon. Fontevraud d’abord, Fontevraud l’Abbaye, j’avais tenu à pousser jusque là pour sacrifier à mes mythes intimes. Deux de ces mythes, au moins, habitent Fontevraud. L’abbaye bien sûr, immense, harmonieuse, indépendante, seigneurie et cité, régnant sur les domaines alentours depuis un chapitre de prétendues contemplatives, un Chapitre de femmes à qui, Ordre insolite, on avait donné autorité sur l’ordre masculin. Les abbayes, leur pensée, leur poésie, leurs cloîtres, la pierre blanche (toujours le tuffeau) qui éclaire autant qu’elle enferme — et cette abbaye en particulier, ces femmes, ces abbesses filles de France, le Miracle de la Rose de Jean Genet.
La rose… un autre de mes jardins secrets. Il y avait une bouleversante rose rouge posée au côté du gisant d’Aliénor. J’ai souri, d’un vrai sourire, un de ceux qui montent au cœur, qui viennent de l’âme. Il n’y en avait pas auprès de Richard. Et j’ai regretté, brusquement et violemment, de n’en avoir pas apporté.
Non pas seulement parce que je sacrifie au mythe du roi-chevalier, du roi-troubadour, de l’honorable adversaire de Saladin, du roi de Robin et d’Ivanhoé — non, s’il me bouleverse si terriblement, si profondément, c’est par sa ressemblance avec vous, Corwin. Il est si ouvertement l’une de vos Ombres.
Et même sur le gisant la ressemblance sautait aux yeux, sautait au cœur, et je me recroquevillais de honte, de n’avoir pas de rose à offrir.
Sans doute faudra-t-il que je revienne, un jour. Il le faudra de toute façon. Fontevraud est un lieu de merveilles, surtout en été, quand le tuffeau se chamarre de rose à chaque crépuscule. Concerts de musique médiévale, enregistrement de disques profitant de son acoustique, prestigieux conférenciers, spectacles, ateliers d’écriture… Le guide lui-même était merveilleux, passionné, plein de vie, sans conteste numéro 1 du susdit palmarès. Même la boutique était merveilleuse, et j’y ai dépensé des fortunes.
Des rêves d’Héloïse, une Ombre poignante de Corwin, et à chaque pas des miracles et des roses : Fontevraud est un lieu où l’on revient.
Notre dernière chambre d’hôtes est une suite. Salon, canapé, table, télévision, placards, four à micro-ondes et réfrigérateur, salle de bains (avec baignoire, ai-je dit combien Nous aimions les bains ?), chambre à décor maritime qui plairait à ma mère, enfin toilettes. On pourrait très bien y passer une semaine.
La journée fut plus médiévale, à la suite de Chinon. Fontevraud d’abord, Fontevraud l’Abbaye, j’avais tenu à pousser jusque là pour sacrifier à mes mythes intimes. Deux de ces mythes, au moins, habitent Fontevraud. L’abbaye bien sûr, immense, harmonieuse, indépendante, seigneurie et cité, régnant sur les domaines alentours depuis un chapitre de prétendues contemplatives, un Chapitre de femmes à qui, Ordre insolite, on avait donné autorité sur l’ordre masculin. Les abbayes, leur pensée, leur poésie, leurs cloîtres, la pierre blanche (toujours le tuffeau) qui éclaire autant qu’elle enferme — et cette abbaye en particulier, ces femmes, ces abbesses filles de France, le Miracle de la Rose de Jean Genet.
La rose… un autre de mes jardins secrets. Il y avait une bouleversante rose rouge posée au côté du gisant d’Aliénor. J’ai souri, d’un vrai sourire, un de ceux qui montent au cœur, qui viennent de l’âme. Il n’y en avait pas auprès de Richard. Et j’ai regretté, brusquement et violemment, de n’en avoir pas apporté.
Non pas seulement parce que je sacrifie au mythe du roi-chevalier, du roi-troubadour, de l’honorable adversaire de Saladin, du roi de Robin et d’Ivanhoé — non, s’il me bouleverse si terriblement, si profondément, c’est par sa ressemblance avec vous, Corwin. Il est si ouvertement l’une de vos Ombres.
Et même sur le gisant la ressemblance sautait aux yeux, sautait au cœur, et je me recroquevillais de honte, de n’avoir pas de rose à offrir.
Sans doute faudra-t-il que je revienne, un jour. Il le faudra de toute façon. Fontevraud est un lieu de merveilles, surtout en été, quand le tuffeau se chamarre de rose à chaque crépuscule. Concerts de musique médiévale, enregistrement de disques profitant de son acoustique, prestigieux conférenciers, spectacles, ateliers d’écriture… Le guide lui-même était merveilleux, passionné, plein de vie, sans conteste numéro 1 du susdit palmarès. Même la boutique était merveilleuse, et j’y ai dépensé des fortunes.
Des rêves d’Héloïse, une Ombre poignante de Corwin, et à chaque pas des miracles et des roses : Fontevraud est un lieu où l’on revient.
vendredi 27 avril 2007
CHÂTEAUX DE LA LOIRE (13) : DES ROIS, DES GUERRIÈRES, DES GUIDES & DES DÎNERS
Hôtel Diderot, Chinon
Pas à Chinon. Chinon est pleine d’Histoires, déborde de noms propres, de rois, de dates — parfois de tombes.
J’ai parcouru cette ville autrefois, fillette, dans les pages des Catherine de Juliette Benzoni. Chinon est une des villes de Jeanne d’Arc et de cet étrange et surnaturel épisode de la Guerre de Cent Ans, qu’on ne s’explique toujours pas. Mes yeux se posent sur la tablette et sur les livres : Jeanne d’Arc a aussi joué les rois Arthur en rêvant d’une épée promise par les Saints, qui fut trouvée dans une niche de l’église annoncée. La Pucelle est si bardée de symboles qu’on ose à peine y croire.
Un autre rival d’Arthur, Henri II Plantagenêt, a aussi habité et fortifié Chinon, est même venu y mourir.
Ce n’est pas un bon chapitre : trop de visites, aujourd’hui, y compris Azay-le-Rideau dont je n’ai rien dit, malgré le charme de ce château surgi des eaux de l’Indre.
Des bribes, donc. Certaines journées de voyage, et certains récits de journées, sont ainsi : des kaléidoscopes, sans fil conducteur, sans dessein.
Une dernière : nous dressons petit à petit le palmarès de nos restaurants et de nos guides de visites. Ce soir, à Chinon, nous avons dîné merveilleusement à l’enseigne de l’Ardoise, recommandée à l’hôtel par le fort gay spécialiste des confitures maison (encore une gourmandise), qui a convaincu mon Aimé de se lancer à son tour dans leur confection. Ce matin, à Azay-le-Rideau, sous la pluie pour la première fois, nous avons été guidés par une débutante avec laquelle nous fûmes peu charitables. Nous n’avons pu nous empêcher de réagir quand elle a déclaré tranquillement qu’Henri III avait fait assassiner le duc de Guise à la Saint-Barthélémy…
Je me dédis : voici l’ultime bribe, que mon Amour me rappelle à juste titre. Les « culs de lampe moulurés » (ou lampes à cul mouluré ? Ce serait encore plus suggestif) qu’annonçait la description d’une salle de la forteresse de Chinon. Je ris. J’aime quand nous rions.
Pas à Chinon. Chinon est pleine d’Histoires, déborde de noms propres, de rois, de dates — parfois de tombes.
J’ai parcouru cette ville autrefois, fillette, dans les pages des Catherine de Juliette Benzoni. Chinon est une des villes de Jeanne d’Arc et de cet étrange et surnaturel épisode de la Guerre de Cent Ans, qu’on ne s’explique toujours pas. Mes yeux se posent sur la tablette et sur les livres : Jeanne d’Arc a aussi joué les rois Arthur en rêvant d’une épée promise par les Saints, qui fut trouvée dans une niche de l’église annoncée. La Pucelle est si bardée de symboles qu’on ose à peine y croire.
Un autre rival d’Arthur, Henri II Plantagenêt, a aussi habité et fortifié Chinon, est même venu y mourir.
Ce n’est pas un bon chapitre : trop de visites, aujourd’hui, y compris Azay-le-Rideau dont je n’ai rien dit, malgré le charme de ce château surgi des eaux de l’Indre.
Des bribes, donc. Certaines journées de voyage, et certains récits de journées, sont ainsi : des kaléidoscopes, sans fil conducteur, sans dessein.
Une dernière : nous dressons petit à petit le palmarès de nos restaurants et de nos guides de visites. Ce soir, à Chinon, nous avons dîné merveilleusement à l’enseigne de l’Ardoise, recommandée à l’hôtel par le fort gay spécialiste des confitures maison (encore une gourmandise), qui a convaincu mon Aimé de se lancer à son tour dans leur confection. Ce matin, à Azay-le-Rideau, sous la pluie pour la première fois, nous avons été guidés par une débutante avec laquelle nous fûmes peu charitables. Nous n’avons pu nous empêcher de réagir quand elle a déclaré tranquillement qu’Henri III avait fait assassiner le duc de Guise à la Saint-Barthélémy…
Je me dédis : voici l’ultime bribe, que mon Amour me rappelle à juste titre. Les « culs de lampe moulurés » (ou lampes à cul mouluré ? Ce serait encore plus suggestif) qu’annonçait la description d’une salle de la forteresse de Chinon. Je ris. J’aime quand nous rions.
CHÂTEAUX DE LA LOIRE (12) : GOURMANDISES
Hôtel Diderot, Chinon
« Cet hôtel a une atmosphère », vient de déclarer mon Aimé depuis le lit, contemplant le bois chaud et sombre des meubles, les lattes du parquet, les trois statues de Nègres-Début-du-Siècle et les livres posés sur l’étagère de notre chambre. Parmi ces livres, King Arthur, une traduction anglaise du Découvertes Gallimard d’Anne Berthelot ! Il aime qu’il y ait des livres dans une chambre d’hôtel. Moi aussi, bien sûr, même si nous ne les ouvrirons pas. Nous avons les nôtres, et ce carnet où j’écris, et le livre de notre Amour et de nos êtres que nous n’en finissons pas de découvrir et de feuilleter, avec gourmandise.
Le château d’Ussé est une gourmandise de petites filles. Nous avons eu l’amusement de le visiter poursuivis par une multitude de fillettes, sans doute élèves d’un pensionnat catholique, qui oubliaient plaisamment toutes leurs bonnes manières à l’approche de la Belle au Bois Dormant et surtout de sa terrifiante Sorcière. Galopades dans les couloirs, cris perçants et avertissements sentencieux (« Tu vas mourir de peur… ») Et nous souriions, amusés, presque attendris.
Les propriétaires actuels du Château de la Belle, le duc et la duchesse de Blacas, ont eu l’heureuse idées d ‘exposer dans les pièces du château, sur des mannequins, les costumes portés par les membres de la famille depuis le milieu du XIXe siècle. Encore de quoi combler les petites filles, y compris celle que je suis. Pinku, peut-être, en japonais (ai-je appris ce soir de mon Amour) : je ne l’assumais pas tout à fait, et en rougissais. Princesses et robes de contes de fées, et de superbes cèdres du Liban, offerts par Chateaubriand à la châtelaine de l’époque. Un rêve de romance et de tourelles dans la pierre locale, magiquement blanche : du tuffeau. Ici la légende prend sans conteste le pas sur l’Histoire.
« Cet hôtel a une atmosphère », vient de déclarer mon Aimé depuis le lit, contemplant le bois chaud et sombre des meubles, les lattes du parquet, les trois statues de Nègres-Début-du-Siècle et les livres posés sur l’étagère de notre chambre. Parmi ces livres, King Arthur, une traduction anglaise du Découvertes Gallimard d’Anne Berthelot ! Il aime qu’il y ait des livres dans une chambre d’hôtel. Moi aussi, bien sûr, même si nous ne les ouvrirons pas. Nous avons les nôtres, et ce carnet où j’écris, et le livre de notre Amour et de nos êtres que nous n’en finissons pas de découvrir et de feuilleter, avec gourmandise.
Le château d’Ussé est une gourmandise de petites filles. Nous avons eu l’amusement de le visiter poursuivis par une multitude de fillettes, sans doute élèves d’un pensionnat catholique, qui oubliaient plaisamment toutes leurs bonnes manières à l’approche de la Belle au Bois Dormant et surtout de sa terrifiante Sorcière. Galopades dans les couloirs, cris perçants et avertissements sentencieux (« Tu vas mourir de peur… ») Et nous souriions, amusés, presque attendris.
Les propriétaires actuels du Château de la Belle, le duc et la duchesse de Blacas, ont eu l’heureuse idées d ‘exposer dans les pièces du château, sur des mannequins, les costumes portés par les membres de la famille depuis le milieu du XIXe siècle. Encore de quoi combler les petites filles, y compris celle que je suis. Pinku, peut-être, en japonais (ai-je appris ce soir de mon Amour) : je ne l’assumais pas tout à fait, et en rougissais. Princesses et robes de contes de fées, et de superbes cèdres du Liban, offerts par Chateaubriand à la châtelaine de l’époque. Un rêve de romance et de tourelles dans la pierre locale, magiquement blanche : du tuffeau. Ici la légende prend sans conteste le pas sur l’Histoire.
jeudi 26 avril 2007
CHÂTEAUX DE LA LOIRE (11) : RÊVER AU JARDIN
Le Moulin Hodoux, près de Luynes
A St Cosme donc, je commençai de retrouver l’esprit d’Héloïse. A Villandry j’y entrai de plain-pied.
Les jardins Renaissance, héritiers des jardins médiévaux, sont pleinement de son registre. A Villandry je n’ai cessé de rêver de ce Havre d’Umbra et du jardin qu’il abrite. Un jardin pour représenter l’univers et pour ordonner la pensée, un jardin initiatique et mystique, un jardin d’arithmétique et d’harmonie, de musique et d’amour, et qui mêle aux fleurs les légumes et les fruits. Un jardin d’eau encore, et de simples, pour guérir les maux de l’esprit et du corps, enfin un labyrinthe, pour élever l’âme.
Villandry, restauré par un ex-scientifique espagnol et agnostique, un brin obsessionnel et converti au catholicisme, avait un vague fond de syncrétisme qui plairait aussi à Héloïse. Un plafond notamment, de bois peint et sculpté, rapporté de voyage et patiemment restauré, associant les symboles de l’art chrétien et de l’art musulman. Pour l’Islam, des étoiles. L’or et le bleu de la voûte céleste. Je pense bien sûr aux Lions d’Al-Rassan de Kay, aux étoiles des Asharites, je me rappelle combien il est important de se souvenir qu’ils viennent du désert, je pense aux Maures d’Espagne qui eux aussi aimaient les jardins, au triple héritage de Rodrigo, je pense à cette autre voûte étoilée, plus étrangère encore, au-dessus du Havre d’Umbra.
A St Cosme donc, je commençai de retrouver l’esprit d’Héloïse. A Villandry j’y entrai de plain-pied.
Les jardins Renaissance, héritiers des jardins médiévaux, sont pleinement de son registre. A Villandry je n’ai cessé de rêver de ce Havre d’Umbra et du jardin qu’il abrite. Un jardin pour représenter l’univers et pour ordonner la pensée, un jardin initiatique et mystique, un jardin d’arithmétique et d’harmonie, de musique et d’amour, et qui mêle aux fleurs les légumes et les fruits. Un jardin d’eau encore, et de simples, pour guérir les maux de l’esprit et du corps, enfin un labyrinthe, pour élever l’âme.
Villandry, restauré par un ex-scientifique espagnol et agnostique, un brin obsessionnel et converti au catholicisme, avait un vague fond de syncrétisme qui plairait aussi à Héloïse. Un plafond notamment, de bois peint et sculpté, rapporté de voyage et patiemment restauré, associant les symboles de l’art chrétien et de l’art musulman. Pour l’Islam, des étoiles. L’or et le bleu de la voûte céleste. Je pense bien sûr aux Lions d’Al-Rassan de Kay, aux étoiles des Asharites, je me rappelle combien il est important de se souvenir qu’ils viennent du désert, je pense aux Maures d’Espagne qui eux aussi aimaient les jardins, au triple héritage de Rodrigo, je pense à cette autre voûte étoilée, plus étrangère encore, au-dessus du Havre d’Umbra.
CHÂTEAUX DE LA LOIRE (10) : FIGURES DU TEMPS : ARBRES & PIERRES
Le Moulin Hodoux, près de Luynes
Nous sommes décidément hors-saison. (C’est une drôle d’expression, hors-saison. Hors de quelle saison ?) La chaleur et le soleil de l’été sont là, sans conteste, mais pas les touristes. Même dans les rues commerçantes du Vieux Tours, ce midi, il nous suffisait d’emprunter une transversale pour être seuls, pour entendre le silence. Le sommet a été atteint ce soir : nous avons dîné seuls, absolument seuls, dans le meilleur restaurant de Langeais, Errard, dont le Routard chante à juste titre les louanges. Nous nous en sentions vaguement coupables, de retenir ainsi une équipe de 6 personnes pour notre seul service.
J’ai oublié aussi de parler des Huorns. Il n’est pas si étonnant, à y bien réfléchir, d’en trouver dans la région. Les forêts du Val de Loire sont nombreuses et anciennes, « leurs racines sont profondes », avertiraient les bardes. D’abord ces arbres sont beaux, larges, chamarrés, lumineux, contournés, puissants. Ensuite ils sont vivants : les arbres du Parc Léonard de Vinci, à Amboise, s’adressent directement aux visiteurs pour commenter les inventions du Maître ou rapporter sa pensée. Ce sont bien des Huorns, ou peut-être plus. Nous en avons vu un bien éveillé, à Chaumont-sur-Loire : il étendait ses branches tortueuses, rampait sur l’herbe, avançait une griffe de bois, prêt à saisir les intrus ou à les catapulter au bas de la falaise.
Dans les ruines du prieuré de St Cosme, je me suis éloignée du luxe des châteaux royaux. Peut-être même avant, dans le Vieux Tours, face aux vestiges de la basilique St Martin aux innombrables destructions, des Normands aux Huguenots en passant par le Temps lui-même. La basilique n’est plus que deux tours, et surtout l’espace gigantesque qui les sépare, comblé par des rues, des bâtisses, et même une nouvelle basilique — un espace si vaste, si différent de l’espace présent, que l’imagination peine à le représenter.
A Sr Cosme au contraire, les ruines sont là, assez présentes et assez touchantes pour qu’on n’ait pas besoin d’imaginer le décor intact, qui peut-être nous plairait moins. A St Cosme je suis tout entière une voyageuse Romantique qui s’émeut de la poésie des ruines envahies de végétation, de voir fleurir les vieilles pierres, s’user sur la tombe le nom pourtant illustre de Ronsard, et les édifices, comme leurs constructeurs, céder face au temps. Au prieuré de St Cosme, on est en plein dans une Vanité du XVIe siècle. En pleine non-mélancolie humaniste. Les ruines d’édifices religieux ont toujours eu à mes yeux un charme particulier, plus gracieux et plus serein. A St Cosme donc, je commençai de retrouver l’esprit d’Héloïse.
Nous sommes décidément hors-saison. (C’est une drôle d’expression, hors-saison. Hors de quelle saison ?) La chaleur et le soleil de l’été sont là, sans conteste, mais pas les touristes. Même dans les rues commerçantes du Vieux Tours, ce midi, il nous suffisait d’emprunter une transversale pour être seuls, pour entendre le silence. Le sommet a été atteint ce soir : nous avons dîné seuls, absolument seuls, dans le meilleur restaurant de Langeais, Errard, dont le Routard chante à juste titre les louanges. Nous nous en sentions vaguement coupables, de retenir ainsi une équipe de 6 personnes pour notre seul service.
J’ai oublié aussi de parler des Huorns. Il n’est pas si étonnant, à y bien réfléchir, d’en trouver dans la région. Les forêts du Val de Loire sont nombreuses et anciennes, « leurs racines sont profondes », avertiraient les bardes. D’abord ces arbres sont beaux, larges, chamarrés, lumineux, contournés, puissants. Ensuite ils sont vivants : les arbres du Parc Léonard de Vinci, à Amboise, s’adressent directement aux visiteurs pour commenter les inventions du Maître ou rapporter sa pensée. Ce sont bien des Huorns, ou peut-être plus. Nous en avons vu un bien éveillé, à Chaumont-sur-Loire : il étendait ses branches tortueuses, rampait sur l’herbe, avançait une griffe de bois, prêt à saisir les intrus ou à les catapulter au bas de la falaise.
Dans les ruines du prieuré de St Cosme, je me suis éloignée du luxe des châteaux royaux. Peut-être même avant, dans le Vieux Tours, face aux vestiges de la basilique St Martin aux innombrables destructions, des Normands aux Huguenots en passant par le Temps lui-même. La basilique n’est plus que deux tours, et surtout l’espace gigantesque qui les sépare, comblé par des rues, des bâtisses, et même une nouvelle basilique — un espace si vaste, si différent de l’espace présent, que l’imagination peine à le représenter.
A Sr Cosme au contraire, les ruines sont là, assez présentes et assez touchantes pour qu’on n’ait pas besoin d’imaginer le décor intact, qui peut-être nous plairait moins. A St Cosme je suis tout entière une voyageuse Romantique qui s’émeut de la poésie des ruines envahies de végétation, de voir fleurir les vieilles pierres, s’user sur la tombe le nom pourtant illustre de Ronsard, et les édifices, comme leurs constructeurs, céder face au temps. Au prieuré de St Cosme, on est en plein dans une Vanité du XVIe siècle. En pleine non-mélancolie humaniste. Les ruines d’édifices religieux ont toujours eu à mes yeux un charme particulier, plus gracieux et plus serein. A St Cosme donc, je commençai de retrouver l’esprit d’Héloïse.
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mercredi 25 avril 2007
CHÂTEAUX DE LA LOIRE (9) : LE PONT DES AMOURS
La Marmittière, près de Chenonceaux
Chenonceau n’a pas été bâti pour la guerre. Si elle y a servi, c’est par des moyens détournés. Tu as remarqué ? Je parle de Chenonceau au féminin : Chenonceau est une dame, altière et subtile, harmonieuse et rouée. Elle ne peut pas exister vraiment hors des contes de fées.
Chenonceau est bâtie sur un autre monde, un château-pont, comme Chambord était un château-sur-les-toits. Tous les ponts sont enchantés. On y danse, forcément, des bals féeriques dans la longue galerie bâtie sur le Cher. Ils mènent d’un monde à l’autre : pendant la Seconde Guerre Mondiale, on pouvait entrer dans le château en zone occupée et en ressortir en zone libre, sur l’autre rive. Bien sûr, il faut en payer le prix, et le château est passé près de la destruction.
Pourtant tout y est magique : même les cuisines, qui sont de celles où l’on imagine descendre les princesses des contes pour y glisser un anneau dans la pâte à gâteau ; les jardins de Diane, en harmonie de vert, de jaune et de bleu ; le labyrinthe où j’ai entraîné mon Bien-Aimé, comme une enfant, pour que nous nous y perdions et retrouvions.
Chenonceau ne peut être une prison : si elle fait la guerre, c’est comme hôpital, un hôpital de fantaisie, en plein Onyrium, où les blessés peuvent, de leur lit, faire descendre des lignes dans la rivière pour pêcher le dîner du château.
Certains contes finissent mal, bien sûr. Les châteaux enchantés ne donnent pas dans la demi-mesure. S’il advient qu’une de ses souveraines signe un pacte sombre de prière éternelle, elle le respectera jusqu’au dernier jour, tendra de noir chaque riante pièce, remplacera les fêtards par des nonnes, et fera du château de la Reine et des Dames d’Amour celui d’une fantômatique Dame Blanche.
Rassurez-vous : cela ne dure pas au-delà d’un règne.
Chenonceau parle trop fort d’amour pour porter un deuil éternel. Tu m’en as fait don, Aimé, et je le conserverai précieusement en moi, et nous retournerons y dormir en rêve et nous y promener dans les Bois Dorés et danser sur la rivière et passer encore le Pont entre les Mondes.
Chenonceau n’a pas été bâti pour la guerre. Si elle y a servi, c’est par des moyens détournés. Tu as remarqué ? Je parle de Chenonceau au féminin : Chenonceau est une dame, altière et subtile, harmonieuse et rouée. Elle ne peut pas exister vraiment hors des contes de fées.
Chenonceau est bâtie sur un autre monde, un château-pont, comme Chambord était un château-sur-les-toits. Tous les ponts sont enchantés. On y danse, forcément, des bals féeriques dans la longue galerie bâtie sur le Cher. Ils mènent d’un monde à l’autre : pendant la Seconde Guerre Mondiale, on pouvait entrer dans le château en zone occupée et en ressortir en zone libre, sur l’autre rive. Bien sûr, il faut en payer le prix, et le château est passé près de la destruction.
Pourtant tout y est magique : même les cuisines, qui sont de celles où l’on imagine descendre les princesses des contes pour y glisser un anneau dans la pâte à gâteau ; les jardins de Diane, en harmonie de vert, de jaune et de bleu ; le labyrinthe où j’ai entraîné mon Bien-Aimé, comme une enfant, pour que nous nous y perdions et retrouvions.
Chenonceau ne peut être une prison : si elle fait la guerre, c’est comme hôpital, un hôpital de fantaisie, en plein Onyrium, où les blessés peuvent, de leur lit, faire descendre des lignes dans la rivière pour pêcher le dîner du château.
Certains contes finissent mal, bien sûr. Les châteaux enchantés ne donnent pas dans la demi-mesure. S’il advient qu’une de ses souveraines signe un pacte sombre de prière éternelle, elle le respectera jusqu’au dernier jour, tendra de noir chaque riante pièce, remplacera les fêtards par des nonnes, et fera du château de la Reine et des Dames d’Amour celui d’une fantômatique Dame Blanche.
Rassurez-vous : cela ne dure pas au-delà d’un règne.
Chenonceau parle trop fort d’amour pour porter un deuil éternel. Tu m’en as fait don, Aimé, et je le conserverai précieusement en moi, et nous retournerons y dormir en rêve et nous y promener dans les Bois Dorés et danser sur la rivière et passer encore le Pont entre les Mondes.
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CHÂTEAUX DE LA LOIRE (8) : ENTRE DEUX ÂGES
La Marmittière, près de Chenonceaux
Les deux premiers châteaux de notre journée rappelaient bien la frontière incertaine entre les grandes périodes que s’efforcent de délimiter les historiens, longtemps après. A quel moment le Moyen-Âge desserre-t-il son emprise, à quelle date la Renaissance atteint-elle la Loire ? De quel côté se trouve le château de Chaumont-sur-Loire, ou celui d’Amboise ?
On ne peut trancher. En approchant des murs, à Amboise, on est écrasé par la colossale puissance de cette forteresse, l’épaisseur et la hauteur de l’enceinte, la masse des tours. On n’est pas surpris du tout que la Cour, menacée, se fût retirée de Blois à Amboise, pas surpris que les conjurés s’y fussent cassés le nez et eussent été pendus, un à un, au balcon du château.
Mais une fois passée l’enceinte, une fois traversés les murs, se dresse au cœur du parvis un charmant petit édifice Renaissance.
Bien sûr, on peut toujours, du haut des fenêtres, contempler le vertige de la Loire, loin au-dessous. Amboise a beau se parer de tapisseries, de tentures cramoisies, de jardins méditerranéens, elle garde les traits austères de la forteresse. On a beau avoir rasé l’une de ses enceintes, pour intimider le trop comploteur Gaston d’Orléans, Amboise reste une prison. Mais de marque : Abd-el-Kader y a passé quatre ans, en résidence surveillée, avec sa famille et sa suite, et les tombes musulmanes côtoient les massifs du jardin. Elles ne sont pas déplacées. Amboise a été bâtie pour la guerre, même si, au temps béni de la paix, elle étage, lumineuse, les pentes d’ardoise de ses toits sous les hautes murailles de pierre.
Et Chaumont aussi hésite entre les deux âges, entre la forteresse et le palais enchanté. Nous n’avons pu y pénétrer, les travaux s’y termineront dans deux jours seulement, alors nous l’avons contournée, encerclée, nous avons marché dans ses douves et levé les yeux sur ses murs et imaginé l’histoire qui nous était refusée.
Chaumont n’est pas bâti en plaine, ni au cœur des bois. Il se dresse en hauteur au-dessus d’un curieux village à une dimension, étiré entre la falaise et la Loire. Chaumont garde la vieille perspective médiévale et surplombe ses vilains. La griffe d’un Dragon (sûrement celui de Blois) est empreinte dans ses murs, aussi nettement que les C entrelacés de la vieille Catherine. Un roman s’y déploie à chaque pas. Duel dans les douves asséchées, poterne discrète et balcon romantique pour rendez-vous d’amour interdit, escalier dérobé noyé de ronces et de feuillages. Mais ce roman, on n’est pas sûr de savoir le situer, quelque part entre la chevalerie et les intrigues de cour des Bourbon, quelque part entre Ivanhoé et Le Bossu.
Il n’en pas ainsi de Chenonceaux.
Les deux premiers châteaux de notre journée rappelaient bien la frontière incertaine entre les grandes périodes que s’efforcent de délimiter les historiens, longtemps après. A quel moment le Moyen-Âge desserre-t-il son emprise, à quelle date la Renaissance atteint-elle la Loire ? De quel côté se trouve le château de Chaumont-sur-Loire, ou celui d’Amboise ?
On ne peut trancher. En approchant des murs, à Amboise, on est écrasé par la colossale puissance de cette forteresse, l’épaisseur et la hauteur de l’enceinte, la masse des tours. On n’est pas surpris du tout que la Cour, menacée, se fût retirée de Blois à Amboise, pas surpris que les conjurés s’y fussent cassés le nez et eussent été pendus, un à un, au balcon du château.
Mais une fois passée l’enceinte, une fois traversés les murs, se dresse au cœur du parvis un charmant petit édifice Renaissance.
Bien sûr, on peut toujours, du haut des fenêtres, contempler le vertige de la Loire, loin au-dessous. Amboise a beau se parer de tapisseries, de tentures cramoisies, de jardins méditerranéens, elle garde les traits austères de la forteresse. On a beau avoir rasé l’une de ses enceintes, pour intimider le trop comploteur Gaston d’Orléans, Amboise reste une prison. Mais de marque : Abd-el-Kader y a passé quatre ans, en résidence surveillée, avec sa famille et sa suite, et les tombes musulmanes côtoient les massifs du jardin. Elles ne sont pas déplacées. Amboise a été bâtie pour la guerre, même si, au temps béni de la paix, elle étage, lumineuse, les pentes d’ardoise de ses toits sous les hautes murailles de pierre.
Et Chaumont aussi hésite entre les deux âges, entre la forteresse et le palais enchanté. Nous n’avons pu y pénétrer, les travaux s’y termineront dans deux jours seulement, alors nous l’avons contournée, encerclée, nous avons marché dans ses douves et levé les yeux sur ses murs et imaginé l’histoire qui nous était refusée.
Chaumont n’est pas bâti en plaine, ni au cœur des bois. Il se dresse en hauteur au-dessus d’un curieux village à une dimension, étiré entre la falaise et la Loire. Chaumont garde la vieille perspective médiévale et surplombe ses vilains. La griffe d’un Dragon (sûrement celui de Blois) est empreinte dans ses murs, aussi nettement que les C entrelacés de la vieille Catherine. Un roman s’y déploie à chaque pas. Duel dans les douves asséchées, poterne discrète et balcon romantique pour rendez-vous d’amour interdit, escalier dérobé noyé de ronces et de feuillages. Mais ce roman, on n’est pas sûr de savoir le situer, quelque part entre la chevalerie et les intrigues de cour des Bourbon, quelque part entre Ivanhoé et Le Bossu.
Il n’en pas ainsi de Chenonceaux.
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CHÂTEAUX DE LA LOIRE (7) : ET AU MILIEU COULE LA LOIRE
La Marmittière, près de Chenonceaux
Mon pauvre Amour est coincé au téléphone avec son employeur abusif, qui le dérange en pleines vacances, un soir de soleil de fatigue, près du plus magique des châteaux. De le formuler, de le sentir ainsi fulminer derrière moi, j’en éprouve une colère bouillonnante.
Il vient de sortir, écumant de rage, mendier un ordinateur et une connexion Internet à nos hôtes.
Et à nouveau je perds mes mots. Je me contrains à rester dans cette chambre, à ce bureau. Je le dérangerais, et ne servirais à rien. Je dînerai donc seule, ce soir. Je n’ai plus envie de parler d’aujourd’hui. Plus tard, je retrouverai le goût des châteaux et des reines. Les reines dînent sans leur époux, d’ailleurs, la plupart du temps.
Je n’ai parlé que de chambres, de villes et de châteaux, oubliant les paysages, oubliant la Loire aux berges sablonneuses et sauvages, envahies de végétation, semées d’îlots ; oubliant les innombrables forêts de feuillus, d’un vert lumineux, ou plutôt de cinq ou six verts différents pour lesquels je n’ai pas de nom. A cette saison, les sous-bois sont clairs encore et de temps en temps, à certaines heures, quand le soleil filtre entre les feuilles, on se croirait en Lothlorien.
Les paysages des bords de Loire sont des décors de cape et d’épée. En les découvrant, on y surimpose tout de suite un cavalier au galop, se hâtant vers une délivrance ou un complot, dans l’un ou l’autre des châteaux.
Mon pauvre Amour est coincé au téléphone avec son employeur abusif, qui le dérange en pleines vacances, un soir de soleil de fatigue, près du plus magique des châteaux. De le formuler, de le sentir ainsi fulminer derrière moi, j’en éprouve une colère bouillonnante.
Il vient de sortir, écumant de rage, mendier un ordinateur et une connexion Internet à nos hôtes.
Et à nouveau je perds mes mots. Je me contrains à rester dans cette chambre, à ce bureau. Je le dérangerais, et ne servirais à rien. Je dînerai donc seule, ce soir. Je n’ai plus envie de parler d’aujourd’hui. Plus tard, je retrouverai le goût des châteaux et des reines. Les reines dînent sans leur époux, d’ailleurs, la plupart du temps.
Je n’ai parlé que de chambres, de villes et de châteaux, oubliant les paysages, oubliant la Loire aux berges sablonneuses et sauvages, envahies de végétation, semées d’îlots ; oubliant les innombrables forêts de feuillus, d’un vert lumineux, ou plutôt de cinq ou six verts différents pour lesquels je n’ai pas de nom. A cette saison, les sous-bois sont clairs encore et de temps en temps, à certaines heures, quand le soleil filtre entre les feuilles, on se croirait en Lothlorien.
Les paysages des bords de Loire sont des décors de cape et d’épée. En les découvrant, on y surimpose tout de suite un cavalier au galop, se hâtant vers une délivrance ou un complot, dans l’un ou l’autre des châteaux.
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mardi 24 avril 2007
CHÂTEAUX DE LA LOIRE (6) : L’ENFANT ET LE DRAGON
Chambre 35 du Domaine des Hauts de Loire .
Avant la Chambre Merveilleuse, il y eut Blois, son château, sa vieille ville et sa Maison de la Magie. Et bien sûr il faudrait en parler ici, de la visite guidée que nous avons rattrapée avec un quart d’heure de retard — des suggestions effarantes de certains touristes (« H c’est le monogramme d’Henri. Ah oui, mais d’après ce qu’on m’a dit, ça pourrait être H comme Homosexuel, non ? Mwahaha. ») — des multiples tableaux autour de l’assassinat du duc de Guise, avant, pendant, après et dans ses ricochets (assassinat du cardinal de Lorraine, procession de la Ligue, assassinat d’Henri III) et à parti pris divers, tantôt royaliste, tantôt guisard, mais toujours dramatisé.
« Tu me le liras, hein ? » demande mon Bien-Aimé, l’œil pétillant. Oh oui. Et de fait, j’ai très envie de le lui lire, de lui parler, d’oublier Blois. Il faudrait dire encore pourtant le spectacle de magie, mon côté enfant, mon côté cul-cul, les affiches de magiciens de la fin du XIXe siècle, que nous avons ensuite vainement cherchées dans la boutique, la Galerie des Illusions et ses multiples miroirs, et comment nous avons envisagé d’y retourner à la nuit tombée, les visiteurs partis.
Il faudrait au moins parler du Dragon. Le Dragon d’or qui à chaque heure sort ses six têtes des fenêtres du musée Robert-Houdin et mugit, peut-être en anglais, ou dans quelque langue plus ancienne, et se tord, et arrache les grilles des fenêtres — mais, comme c’est un dragon très poli, il remet tout en place en retournant se coucher. Et nous, comme des enfants, guettant l’heure et bondissant de nos chaises, place du château, pour aller l’admirer.
Car ce sont des châteaux de légende aussi bien que d’histoires, peuplés non seulement des rois de ce monde mais aussi de lutins ambitieux, de dragons fatigués et de savants visionnaires — de celui-là nous reparlerons demain.
Avant la Chambre Merveilleuse, il y eut Blois, son château, sa vieille ville et sa Maison de la Magie. Et bien sûr il faudrait en parler ici, de la visite guidée que nous avons rattrapée avec un quart d’heure de retard — des suggestions effarantes de certains touristes (« H c’est le monogramme d’Henri. Ah oui, mais d’après ce qu’on m’a dit, ça pourrait être H comme Homosexuel, non ? Mwahaha. ») — des multiples tableaux autour de l’assassinat du duc de Guise, avant, pendant, après et dans ses ricochets (assassinat du cardinal de Lorraine, procession de la Ligue, assassinat d’Henri III) et à parti pris divers, tantôt royaliste, tantôt guisard, mais toujours dramatisé.
« Tu me le liras, hein ? » demande mon Bien-Aimé, l’œil pétillant. Oh oui. Et de fait, j’ai très envie de le lui lire, de lui parler, d’oublier Blois. Il faudrait dire encore pourtant le spectacle de magie, mon côté enfant, mon côté cul-cul, les affiches de magiciens de la fin du XIXe siècle, que nous avons ensuite vainement cherchées dans la boutique, la Galerie des Illusions et ses multiples miroirs, et comment nous avons envisagé d’y retourner à la nuit tombée, les visiteurs partis.
Il faudrait au moins parler du Dragon. Le Dragon d’or qui à chaque heure sort ses six têtes des fenêtres du musée Robert-Houdin et mugit, peut-être en anglais, ou dans quelque langue plus ancienne, et se tord, et arrache les grilles des fenêtres — mais, comme c’est un dragon très poli, il remet tout en place en retournant se coucher. Et nous, comme des enfants, guettant l’heure et bondissant de nos chaises, place du château, pour aller l’admirer.
Car ce sont des châteaux de légende aussi bien que d’histoires, peuplés non seulement des rois de ce monde mais aussi de lutins ambitieux, de dragons fatigués et de savants visionnaires — de celui-là nous reparlerons demain.
CHÂTEAUX DE LA LOIRE (5) : LA CHAMBRE DES MERVEILLES
Chambre 35 du Domaine des Hauts de Loire .
J’écris à présent de la merveilleuse chambre de notre Relais & Châteaux. Merveilleuse au sens premier, au sens ancien, et plus merveilleuse encore de s’être reflétée dans les yeux éblouis de mon Aimé.
Mes mots butent sur elle, ne savent quoi décrire.
L’immensité de l’espace, le doux bois des portes de communication, la fausse brutalité des poutres apparentes qui divisent la chambre et la salle de bains, leur donnant de faux airs de chaumière mansardée. Une chaumière et une mansarde rêvées par Marie-Antoinette, avec dais et rideaux roses, large lit, vasque ovale d’une baignoire trônant dans la gigantesque salle de bains, balcon ouvrant sur l’ample majesté d’un chêne déployant ses branches touffues. Charmant bureau de bois vert dans un angle de la chambre. On le voyait de notre bain, ayant laissé la porte ouverte. Perspectives.
Pour faire durer le plaisir, c’est dans cette chambre des merveilles que nous nous ferons servir notre petit-déjeuner, demain matin.
« La chambre 35, disait notre porteur, c’est ma préférées. » Et bien sûr il doit dire cela à chaque client. Sûrement. Et nous ne saurons jamais, puisque nous ne connaîtrons jamais les autres chambres. Mais nous regardons celle-ci et sommes prêts à le croire sur parole.
A notre retour du restaurant, les volets sont fermés, le lit ouvert, les draps et peignoirs de bain rangés, la chambre est prête pour la nuit, et je découvre la réaction ambiguë face à la domesticité, à cette inhabituelle intrusion dans la sphère privée, qui est en même temps un confort, une plaisante facilité. Plaisir et gêne, oui. Aucune gêne par contre à me trouver dans cette chambre, à y dormir, à y vivre. Je m’y sens bien. Pas du tout déplacée.
Difficile de décrire cette chambre, n’est-ce pas ? fait remarquer mon Amour, nu sur le lit. Mais sa science en la matière est plus précise que la mienne. Il s’agit donc d’un plafond à claire-voie, les fenêtres sont des chiens assis, enfoncées dans la partie inclinée du mur, la commode est Louis XIII. Je n’avais pas parlé de la commode, n’est-ce pas ? Ni de la télé à écran plat, ni du coffre-fort ni du mini-bar, qui ne m’intéressent pas, que mon regard occulte.
J’écris à présent de la merveilleuse chambre de notre Relais & Châteaux. Merveilleuse au sens premier, au sens ancien, et plus merveilleuse encore de s’être reflétée dans les yeux éblouis de mon Aimé.
Mes mots butent sur elle, ne savent quoi décrire.
L’immensité de l’espace, le doux bois des portes de communication, la fausse brutalité des poutres apparentes qui divisent la chambre et la salle de bains, leur donnant de faux airs de chaumière mansardée. Une chaumière et une mansarde rêvées par Marie-Antoinette, avec dais et rideaux roses, large lit, vasque ovale d’une baignoire trônant dans la gigantesque salle de bains, balcon ouvrant sur l’ample majesté d’un chêne déployant ses branches touffues. Charmant bureau de bois vert dans un angle de la chambre. On le voyait de notre bain, ayant laissé la porte ouverte. Perspectives.
Pour faire durer le plaisir, c’est dans cette chambre des merveilles que nous nous ferons servir notre petit-déjeuner, demain matin.
« La chambre 35, disait notre porteur, c’est ma préférées. » Et bien sûr il doit dire cela à chaque client. Sûrement. Et nous ne saurons jamais, puisque nous ne connaîtrons jamais les autres chambres. Mais nous regardons celle-ci et sommes prêts à le croire sur parole.
A notre retour du restaurant, les volets sont fermés, le lit ouvert, les draps et peignoirs de bain rangés, la chambre est prête pour la nuit, et je découvre la réaction ambiguë face à la domesticité, à cette inhabituelle intrusion dans la sphère privée, qui est en même temps un confort, une plaisante facilité. Plaisir et gêne, oui. Aucune gêne par contre à me trouver dans cette chambre, à y dormir, à y vivre. Je m’y sens bien. Pas du tout déplacée.
Difficile de décrire cette chambre, n’est-ce pas ? fait remarquer mon Amour, nu sur le lit. Mais sa science en la matière est plus précise que la mienne. Il s’agit donc d’un plafond à claire-voie, les fenêtres sont des chiens assis, enfoncées dans la partie inclinée du mur, la commode est Louis XIII. Je n’avais pas parlé de la commode, n’est-ce pas ? Ni de la télé à écran plat, ni du coffre-fort ni du mini-bar, qui ne m’intéressent pas, que mon regard occulte.
CHATEAUX DE LA LOIRE (4) : À CHEVAL ENTRE L’HISTOIRE ET LA LÉGENDE
Blois. Puis Auberge de la Croix Blanche, à Veuves. Puis chambre 35 du Domaine des Hauts de Loire.
Il y a l’Histoire et il y a la Légende. La Catherine de Médicis que peignent les historiens et celle que raconte Dumas, aux couleurs bien plus vives, et du coup il y a des guides contraints de répéter avec insistance : « C’est une légende, il n’y avait aucun poison dans cette armoire, juste des objets précieux. Pour autant qu’on sache, elle n’a même empoisonné personne. »
Car parfois la légende prend plus de place, plus de Réalité, que l’Histoire.
Il y a l’Histoire, la Légende, et des châteaux bâtis à cheval sur les deux. Chambord est de ceux-là.
Chambord est un château très sérieux, à l’interminable construction, où se sont succédé rois et princes, chasseurs et régiments (de Maurice de Saxe). Chambord est un château historique certifié, avec blasons sculptés, lits à baldaquins, portraits officiels et tableaux dramatiques retraçant de grands événements. Le comte de Chambord n’était-il pas le premier prétendant au trône perdu de France, l’aïeul d’une étrange branche dont les rejetons se manifestent encore aujourd’hui, l’homme qui a laissé passer sa chance en refusant d’abandonner le drapeau blanc d’Henri IV ? La lettre pleine de formules extraordinaires est là, encadrée, sur un mur de Chambord. Le comte est un vrai personnage historique : si l’on avait risqué de l’oublier, il a pris soin de se replacer ostensiblement dans la généalogie de cette Histoire : « Sculptez moi enfant à la ressemblance du bon roi Henri, et plaçons les deux statues en vis à vis. »
Mais n’a-t-il pas aussi un pied dans la légende, l’enfant du miracle, né après l’assassinat de son père au sortir du théâtre ? N’a-t-elle pas dans l’œil une lueur sauvage, une lueur littéralement féerique, sa mère, la blonde et malicieuse duchesse de Berry ?
Et sur les toits de Chambord, le Conte a fait un coup d’état et renversé l’Histoire. Sur les toits de Chambord a poussé par enchantement une cité de Faërie.
Aucun humain, même le plus obtus, ne saurait longtemps prétendre qu’il s’agit de cheminées. Des cheminées, vraiment ! Non, ce sont des tours, des tourelles, une forêt de tours délicatement sculptées, qui s’élancent, qui rivalisent de beauté, et de folie. Evidemment c’est une folie. Nul ne pourrait concevoir de plan réfléchi à ce château-sur-le-toit. Vigny déjà le constatait, éberlué. Il n’y a pas de plan. D’ailleurs, si on regarde avec attention, on remarque que rien n’y est symétrique. Et pourtant l’ensemble est harmonieux. C’est le miracle des Fées, qu’elles ont transmis aux plus doués des artistes de la Renaissance : l’harmonie, la vraie, ne naît pas de la symétrie.
Il y a l’Histoire et il y a la Légende. La Catherine de Médicis que peignent les historiens et celle que raconte Dumas, aux couleurs bien plus vives, et du coup il y a des guides contraints de répéter avec insistance : « C’est une légende, il n’y avait aucun poison dans cette armoire, juste des objets précieux. Pour autant qu’on sache, elle n’a même empoisonné personne. »
Car parfois la légende prend plus de place, plus de Réalité, que l’Histoire.
Il y a l’Histoire, la Légende, et des châteaux bâtis à cheval sur les deux. Chambord est de ceux-là.
Chambord est un château très sérieux, à l’interminable construction, où se sont succédé rois et princes, chasseurs et régiments (de Maurice de Saxe). Chambord est un château historique certifié, avec blasons sculptés, lits à baldaquins, portraits officiels et tableaux dramatiques retraçant de grands événements. Le comte de Chambord n’était-il pas le premier prétendant au trône perdu de France, l’aïeul d’une étrange branche dont les rejetons se manifestent encore aujourd’hui, l’homme qui a laissé passer sa chance en refusant d’abandonner le drapeau blanc d’Henri IV ? La lettre pleine de formules extraordinaires est là, encadrée, sur un mur de Chambord. Le comte est un vrai personnage historique : si l’on avait risqué de l’oublier, il a pris soin de se replacer ostensiblement dans la généalogie de cette Histoire : « Sculptez moi enfant à la ressemblance du bon roi Henri, et plaçons les deux statues en vis à vis. »
Mais n’a-t-il pas aussi un pied dans la légende, l’enfant du miracle, né après l’assassinat de son père au sortir du théâtre ? N’a-t-elle pas dans l’œil une lueur sauvage, une lueur littéralement féerique, sa mère, la blonde et malicieuse duchesse de Berry ?
Et sur les toits de Chambord, le Conte a fait un coup d’état et renversé l’Histoire. Sur les toits de Chambord a poussé par enchantement une cité de Faërie.
Aucun humain, même le plus obtus, ne saurait longtemps prétendre qu’il s’agit de cheminées. Des cheminées, vraiment ! Non, ce sont des tours, des tourelles, une forêt de tours délicatement sculptées, qui s’élancent, qui rivalisent de beauté, et de folie. Evidemment c’est une folie. Nul ne pourrait concevoir de plan réfléchi à ce château-sur-le-toit. Vigny déjà le constatait, éberlué. Il n’y a pas de plan. D’ailleurs, si on regarde avec attention, on remarque que rien n’y est symétrique. Et pourtant l’ensemble est harmonieux. C’est le miracle des Fées, qu’elles ont transmis aux plus doués des artistes de la Renaissance : l’harmonie, la vraie, ne naît pas de la symétrie.
dimanche 22 avril 2007
CHATEAUX DE LA LOIRE (3) : POURTANT LES DONJONS
Et pourtant la Loire coule, l’herbe verdoie, les demeures se couvrent de lierre ou de vigne vierge. Et pourtant l’harmonie demeure sous les murs de l’abbaye, les vieilles courbes de pierre, les reflets des vitraux, la douceur particulière de l’herbe qui pousse auprès des ruines et des églises. Et pourtant le parvis de Notre-Dame, ses lumières nocturnes, le tilleul unique qui s’y dresse, et pourtant le jardin médiéval devant la demeure de Dunois, Dunois le Bâtard, compagnon de la Pucelle. Héloïse serait émue de voir ce jardin et la façon dont se créent les liens, loin au-dessus des sens humains.
Mais le Chat a bâti le Pont, et on ne peut changer cela. Il est au moins un édifice qui le sait, à Beaugency. Le Donjon solitaire qui se dresse dans la vieille ville, sans musée ni château ni jardin, ses fenêtres ouvertes sur la nuit, sa verticale grimpant dans le vide. Grave à vous serrer le cœur, triste et seul et sombre, avec le poids du désert présent et des guerres passées, et le prix du Diable. Le rappel de ce prix, et qu’il n’ôte rien à la beauté. Au contraire. Les Chats, et les Diables, sont des esthètes : le Donjon aussi est beau, comme l’étaient les ténèbres de la Tour de Haute-Sorcellerie au cœur de l’écrin de Palanthas.
Le carillon sonne, et la comptine ressemble à un glas : Mes amis que reste-t-il / À ce Dauphin si gentil… ?
Mais les Amoureux s’embrassent aussi sous les Donjons.
Mais le Chat a bâti le Pont, et on ne peut changer cela. Il est au moins un édifice qui le sait, à Beaugency. Le Donjon solitaire qui se dresse dans la vieille ville, sans musée ni château ni jardin, ses fenêtres ouvertes sur la nuit, sa verticale grimpant dans le vide. Grave à vous serrer le cœur, triste et seul et sombre, avec le poids du désert présent et des guerres passées, et le prix du Diable. Le rappel de ce prix, et qu’il n’ôte rien à la beauté. Au contraire. Les Chats, et les Diables, sont des esthètes : le Donjon aussi est beau, comme l’étaient les ténèbres de la Tour de Haute-Sorcellerie au cœur de l’écrin de Palanthas.
Le carillon sonne, et la comptine ressemble à un glas : Mes amis que reste-t-il / À ce Dauphin si gentil… ?
Mais les Amoureux s’embrassent aussi sous les Donjons.
CHATEAUX DE LA LOIRE (2) : LE CHAT SUR LE PONT
Le logis de ce soir était celui qui m’inquiétait le plus, appel lancé au hasard, sans recommandation, sans guide. Et en traversant les disgracieuses banlieues d’Orléans, je craignais le pire.
Pourtant le miracle de nos voyages commence : une ancienne ferme, corps de logis médiéval aux pierres apparentes, joliment retapé, un grand parc, deux chiens joueurs, énergiques et affectueux, un petit escalier de pierre qui monte à notre chambre sous les combles, tendue de jaune et de bleu, lit à haut chevet, poutres apparentes, vieille armoire et bois de cerf au-dessus de la porte-fenêtre. Enfin arrivés au terme du long trajet en voiture, assis l’un contre l’autre sur le banc de pierre et de mousse, dans le parc, nous nous enchantions de ce hasard, de la lumière et de la paix des lieux.
Le miracle ne nous a pas abandonnés en si bon chemin. Trouver un restaurant ouvert en ce dimanche soir ne semblait pas gagné d’avance. Sur les conseils de notre hôtesse, nous nous sommes dirigés vers la petite ville de Beaugency plutôt que vers Orléans. Là encore, hasard heureux. Les hasards n’ont pourtant pas toujours été heureux, ni même toujours hasardeux, à Beaugency.
C’est la ville de la chanson du Dauphin, d’ailleurs nous suivions les paroles de la chanson sur les panneaux indicateurs, Orléans, Beaugency, Notre-Dame de Cléry à gauche, Vendôme à droite. Et c’est ce carillon que sonne, trois fois le jour, la tour de l’Horloge de Beaugency. Car ce n’est pas un hasard, ni un bonheur : Beaugency est une ville prise et à prendre, conquise et perdue sans cesse, un des seuls ponts sur la Loire de cette région. C’est elle que nous avons longée, la Loire, c’est près du Pont que nous nous sommes garés, que nous avons dîné. Entre le pont et l’abbaye, très exactement. Et cela non plus n’est pas anodin : il a une sacrée audace, ce Pont, d’aboutir pile en face de l’abbaye. Car c’est le Diable qui l’a construit. Le Diable ou un Chat, mais tout le monde sait que c’est la même chose. Le chat qui le premier a franchi le pont à peine bâti, marquant son territoire. Ce ne serait pas un pont de paix.
Et le Chat n’est pas parti. Il continue de hanter la ville et les bords de Loire. En bâtissant la pizzeria face au pont, on a remarqué un chat qui rôdait dans les fondations. Il faut être prudent avec Ceux-là, et respectueux : on a représenté ledit Chat sur l’enseigne de la pizzeria. Avec des yeux lumineux, fixes, inquiétants. On sait bien de qui il s’agit.
(Chambre d’hôtes : M. et Mme Mouton / 18 rue de la Grolle / 45380 Chaingy / 02 38 80 65 68)
Pourtant le miracle de nos voyages commence : une ancienne ferme, corps de logis médiéval aux pierres apparentes, joliment retapé, un grand parc, deux chiens joueurs, énergiques et affectueux, un petit escalier de pierre qui monte à notre chambre sous les combles, tendue de jaune et de bleu, lit à haut chevet, poutres apparentes, vieille armoire et bois de cerf au-dessus de la porte-fenêtre. Enfin arrivés au terme du long trajet en voiture, assis l’un contre l’autre sur le banc de pierre et de mousse, dans le parc, nous nous enchantions de ce hasard, de la lumière et de la paix des lieux.
Le miracle ne nous a pas abandonnés en si bon chemin. Trouver un restaurant ouvert en ce dimanche soir ne semblait pas gagné d’avance. Sur les conseils de notre hôtesse, nous nous sommes dirigés vers la petite ville de Beaugency plutôt que vers Orléans. Là encore, hasard heureux. Les hasards n’ont pourtant pas toujours été heureux, ni même toujours hasardeux, à Beaugency.
C’est la ville de la chanson du Dauphin, d’ailleurs nous suivions les paroles de la chanson sur les panneaux indicateurs, Orléans, Beaugency, Notre-Dame de Cléry à gauche, Vendôme à droite. Et c’est ce carillon que sonne, trois fois le jour, la tour de l’Horloge de Beaugency. Car ce n’est pas un hasard, ni un bonheur : Beaugency est une ville prise et à prendre, conquise et perdue sans cesse, un des seuls ponts sur la Loire de cette région. C’est elle que nous avons longée, la Loire, c’est près du Pont que nous nous sommes garés, que nous avons dîné. Entre le pont et l’abbaye, très exactement. Et cela non plus n’est pas anodin : il a une sacrée audace, ce Pont, d’aboutir pile en face de l’abbaye. Car c’est le Diable qui l’a construit. Le Diable ou un Chat, mais tout le monde sait que c’est la même chose. Le chat qui le premier a franchi le pont à peine bâti, marquant son territoire. Ce ne serait pas un pont de paix.
Et le Chat n’est pas parti. Il continue de hanter la ville et les bords de Loire. En bâtissant la pizzeria face au pont, on a remarqué un chat qui rôdait dans les fondations. Il faut être prudent avec Ceux-là, et respectueux : on a représenté ledit Chat sur l’enseigne de la pizzeria. Avec des yeux lumineux, fixes, inquiétants. On sait bien de qui il s’agit.
(Chambre d’hôtes : M. et Mme Mouton / 18 rue de la Grolle / 45380 Chaingy / 02 38 80 65 68)
CHATEAUX DE LA LOIRE (1) : AVERTISSEMENT LIMINAIRE
Chaingy (entre Orléans et Beaugency)
Ce ne sera pas pareil, cette fois . J’ignore ce que cela sera. Plus ardu, bien sûr, de créer le temps de ces pages, puisque je n’ai plus vraiment besoin d’elles, puisqu’un interlocuteur existe en dehors d’elle, puisque je voyage en Amoureux. Ce ne sera pas pareil puisque je pourrais ne pas tenir ce carnet, et que je le tiens cependant. C’est une discipline. Un rappel auquel nous tenons tous deux : ne pas nous abolir dans la ferveur et la fusion, ne pas oublier qu’un monde existe au-delà de notre Amour, ne pas s’y soustraire. C’est aussi une trace, la seule qui restera de ce voyage. Nous partons sans appareil photographique. De ces premières vacances ensemble ne resteront que nos souvenirs, les vrais, ceux qui s’emmêlent et se dissipent — et ce carnet.
J’écris donc pour Nous et pour vous, vous tous qui continuez d’exister, toi ma Reine-Sœur à qui je l’ai annoncé, toi ma breda qui viens de m’appeler au cœur des anciennes rues de Beaugency, toi Oona qui attends ce carnet de voyage, toi Fa qui envoies des notes d’Athènes et à qui j’ai dédié les précédents carnets. Mais ce ne sera pas pareil.
Ce ne sera pas pareil, cette fois . J’ignore ce que cela sera. Plus ardu, bien sûr, de créer le temps de ces pages, puisque je n’ai plus vraiment besoin d’elles, puisqu’un interlocuteur existe en dehors d’elle, puisque je voyage en Amoureux. Ce ne sera pas pareil puisque je pourrais ne pas tenir ce carnet, et que je le tiens cependant. C’est une discipline. Un rappel auquel nous tenons tous deux : ne pas nous abolir dans la ferveur et la fusion, ne pas oublier qu’un monde existe au-delà de notre Amour, ne pas s’y soustraire. C’est aussi une trace, la seule qui restera de ce voyage. Nous partons sans appareil photographique. De ces premières vacances ensemble ne resteront que nos souvenirs, les vrais, ceux qui s’emmêlent et se dissipent — et ce carnet.
J’écris donc pour Nous et pour vous, vous tous qui continuez d’exister, toi ma Reine-Sœur à qui je l’ai annoncé, toi ma breda qui viens de m’appeler au cœur des anciennes rues de Beaugency, toi Oona qui attends ce carnet de voyage, toi Fa qui envoies des notes d’Athènes et à qui j’ai dédié les précédents carnets. Mais ce ne sera pas pareil.
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