Dans notre chambre (je n’ai pas dit qu’elle était rose et kitsch), après l’épisode de la Porte Verrouillée et celui du Restaurant Mythique (II le Retour).
Comment arriver à Istanbul ?
Bien sûr, vous penserez à l’Orient-Express et à tous les mythes qu’il transporte. Et de fait la gare à laquelle il aboutit est une merveille, un adorable exemple de la façon dont l’Orient stambouliote, en feignant d’imiter l’Occident (ou en le croyant peut-être très sincèrement), le transfigure. La gare est rose. Et contrairement à notre chambre, cela ne la rend pas kitsch.
Quoi qu’il en soit, arriver par l’Orient-Express est sûrement merveilleux, mais pour entrer dans Istanbul une voie surpasse toutes les autres : la mer.
Cela ne vous coûtera qu’une livre quarante (moins d’un euro) par personne et un petit détour. Rendez-vous par le moyen de votre choix sur la rive asiatique. A l’embarcadère de Harem, prenez un ferry pour Eminönü. Le jeton est une minuscule obole pour un passeur plus spectaculaire que Charon lui-même. Et c’est tout. Placez-vous en proue, sur le pont supérieur. Regardez.
Si vous avez la même chance que nous, le soleil sera en train de descendre à l’horizon, juste derrière la ville, dans une brume légère qui estompe les contrastes, voile la modernité et change Istanbul en une ombre chinoise qui pourrait appartenir à n’importe lequel de ses âges. Vous traversez le Bosphore et une ville titanesque s’étend devant vous, glorieuse, infinie. Byzance peut-être. Ou Constantinople.
Non : la signature des sultans ottomans est bien là, la tughra de la ville elle-même comme de toute cité du Prophète : les innombrables minarets qui jaillissent au-dessus de son horizon, plus minces et plus hauts que tout le reste, malgré les sept collines de toute cité qui se respecte, malgré la silhouette si reconnaissable de la tour de Galata, champignon médiéval et insolite surgissant de Beyoglu.
Les bateaux plus petits se dispersent devant le vôtre à grands renforts de trompe sonore. Ai-je dit déjà la multitude de ces bateaux, de tous âges et de toutes tailles, immenses pétroliers, petites embarcations de pêcheurs pareilles aux barcasses du Vieux Port de Marseille, bâtiments rouillés aux silhouettes archaïques, modernes ferries immaculés. Certains jours, certaines heures, quand ils sont nombreux à attendre, immobiles, l’autorisation de passer le détroit, le Bosphore ressemble à quelque cimetière marin suspendu entre les époques.
Pourtant le doute persiste. Vous vous frayez un chemin à l’embouchure de la Corne d’Or. Vous pensez, forcément, aux Grecs, à l’évidence miraculeuse de ce site. La cité ici était une évidence, une nécessité.
En arrivant par le Bosphore, vous touchez à la légende. Vous voyez les strates accumulées du temps, le port qui fonde tout, la silhouette d’Hagia Sophia, la grâce du palais de Topkapi, l’immensité de la ville moderne, le pont qui défie le passé et surplombe le Bosphore, frêle et miraculeuse passerelle, à peine visible à travers le détroit. Les lances des minarets et celles des buildings. Vous voyez les coupoles des mosquées, érigées à dessein sur les berges de la Corne d’Or. Vous voyez même les grilles blanches de Dolmabahçe, le palais des derniers sultans et du premier Président.
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